Nous arrivons le soir dans la Médina encore trépidante de son activité quotidienne. Le taxi nous a déposé à l'entrée d'une petite rue où nous sommes pris en charge par l'homme qui doit nous conduire à l'hôtel. Il pousse nos bagages dans une grosse charrette. Nous le suivons, nous faufilant entre les passants, les marchands, les scooters, les vélos, etc. Nous apprendrons vite à reconnaître ces rues mais pour l'instant, elles paraissent un labyrinthe. Nous avons tourné dans une ruelle plus étroite encore, un Derb. C'est aussi beaucoup plus calme. Nous suivons la charrette, nous enfonçant de plus en plus dans les entrailles de la vieille ville, happés par ses hauts murs dans la douceur du soir. Au bout d'un cul-de-sac, on nous indique la porte du Riad que rien ne laisse deviner à l'extérieur.

Un jeune homme nous accueille chaleureusement. C'est l'employé du lieu. Il s'occupe des visiteurs à toute heure du jour ou de la nuit : nous le verrons toujours, que nous rentrions à l'hôtel tard le soir ou que nous nous levions pour le petit déjeuner. Il s'assure que chacun passe un agréable séjour, nous donne des conseils touristiques et s'occupe de tous les aspects pratiques.

Pour l'instant, il nous sert du thé à la menthe et des petits gâteaux dans le magnifique patio. Le Riad est plus petit que je ne l'imaginais. Il n'est formé que d'une unique cours autour de laquelle sont organisées les chambres sur plusieurs étages. Nous sommes tout en haut, donnant sur le toit terrasse où sera servi le petit déjeuner.

Les couleurs chatoyantes, les céramiques, les lumières, les motifs sculptés, tout nous donne l'impression d'un précieux écrin caché dans la Médina. Notre hôte nous sert le dîner : soupe marocaine et Tajines. Les femmes s'affairent à la cuisine. Nous discutons avec nos voisines britanniques et il est déjà tard quand nous terminons notre repas. Nous décidons tout de même de sortir pour ressentir la ville une première fois. Notre hôte nous donne des indications très précises pour que nous ne nous perdions pas et nous voilà dans les rues de la vieille ville.

Je n'ai gardé que peu de souvenirs touristiques de mon premier séjour ici. En 98, alors adolescente, je faisais le tour du pays avec ma mère et ma soeur. À Marrakech, ma soeur était malade. J'avais passé la majeure partie du temps à son chevet dans un hôtel à la climatisation défaillante. Cependant je reconnais tout de suite la place Jemaa El-Fna. Nous donnions sur la grande mosquée dont nous entendions les appels du Muezzin. La place était brûlante sous le soleil avec son sol en goudron noir.

Dans la nuit de novembre, l'air est plus doux que sous le soleil d'août. Le sol a été pavé. La grande mosquée est magnifiquement éclairée : énergie renouvelable, COP22 oblige. Mais la place a gardé la même agitation frénétique que dans mon souvenir. C'est un lieu qui fascine et qui effraie, le coeur palpitant de la ville. Un marché est installé qui vend des fruits et des pâtisseries. Des petites échoppes-restaurants alpaguent les passants avec véhémence. Plus loin, des groupes d'hommes jouent de la musique traditionnelle formant avec leurs spectateurs des grappes humaines dispersée dans le noir. Nous marchons un temps autour de la mosquée, encore tout étonnés d'être si soudainement dans un nouveau pays. Ce matin, nous étions encore à Paris... Il est bientôt minuit et les boutiques de la Médina ferment enfin. Nous retrouvons facilement le chemin de l'hôtel et passons notre première nuit à Marrakech.

Notre séjour ici est particulièrement court : nous n'avons qu'une journée pour visiter la ville. Demain matin, nous repartons à Paris. Cela étonne le jeune homme de l'hôtel. Il nous est si facile de venir ici et de repartir, ça ne nous coûte même pas cher. Pour la plupart des marocains, le voyage inverse est complètement impossible. Par ailleurs, pris dans nos tâches quotidiennes, nous n'avons absolument rien préparé et n'avons aucune idée de ce que nous allons faire. Le jeune homme, consciencieux, nous offre un plan de la ville où il entoure les principaux points d'intérêt et nous concocte rapidement un planning raisonnable pour la journée.

Le soleil matinal se faufile dans notre ruelle réchauffant les pierres où dorment des chats sauvages. Le stuc ocre des murs s'effrite légèrement. Nous commençons par rejoindre à nouveau la place Jemaa El-Fna. Il y a toujours autant d'agitation même si elle est différente de celle de la nuit. Le marché aux fruits est toujours là mais les restaurants ont disparu. Il n'y a plus de musiciens. Je ne trouve pas non plus les charmeurs de serpents que j'avais vus en 98. Par contre, on voit beaucoup de petits singes tenus au bout de laisses par des dresseurs qui cherchent à impressionner des touristes. Je suppose qu'il y a des modes dans les animaux exotiques. Je préférais les serpents qui me semblaient plus indifférents à leur sort de bête de foire...

Nous dépassons la place et descendons vers le sud de la Médina. Les rues étroites et ombragées ont un parfum de cuir, d'épices et de pot d'échappement. Les scooters pétaradent et la vie bat son plein. J'avais le souvenir d'une atmosphère légèrement oppressante, peut-être aussi due à la chaleur de l'été. Aujourd'hui, l'air est doux et c'est un plaisir de retrouver une ambiance estivale pour nous qui entrons dans l'hiver. Par ailleurs, les marchands sont moins pressants que ce que je craignais. Très bons en marketing, leurs premières phrases sont souvent "ici, aucune pression, juste pour regarder !". Signe que le tourisme de la ville s'est internationalisé, on nous parle souvent en anglais.

Quand la rue devient un peu plus large, les voitures se faufilent ajoutant un peu au chaos de la circulation. Nous tournons dans le Derb qui mène au musée Dar Si Said, première visite de la matinée. La maison date du XIXeme siècle. C'est celle d'un ministre, transformée à présent en musée d'art traditionnel. Au delà des objets présentés, la visite vaut surtout pour les salles de l'étage aux magnifiques décorations en stuc sculpté. Ce sont mes retrouvailles avec l'art arabe qui m'a surtout marquée en Andalousie. Nous enchaînons avec le Palais de la Bahia. La maison Dar Si Said était celle d'un ministre, le palais de la même époque est celui du Sultan... Il s'étend de plein pied en un enchevêtrement de cours et de petites pièces richement décorées. Les pièces engloutissent et recrachent de grands groupes de touristes de toutes nationalités. Le jeu est d'essayer de trouver les espaces laissés momentanément inoccupés pour ne pas être happés par ces énormes masses. "Allons ici, les américains viennent de sortir. Ah non, mince ! Ils ont été remplacés par les espagnols !". Le tourisme de masse (dont nous faisons finalement partie bien que nous ne nous déplacions à 2 plutôt qu'à 15) ne nous empêche cependant pas de profiter de la balade. Je suis particulièrement fascinée par la géométrie des pavages et bas reliefs. Souvent, je m'arrête un moment et laisse filer mes doigts sur les murs pour en comprendre la logique : la figure de base est un octogone régulier, et les lignes qui partent d'ici pour former cette étoile arrivent en fait ici sur le côté du polygone, etc. On doit pouvoir faire des thèses inter-disciplinaires maths-histoire de l'art pour catégoriser les différentes formes qui apparaissent...

En sortant du palais, nous nous promenons un moment dans le quartier juif du Mellah avant d'aller déjeuner. On est samedi et la synagogue est fermée mais les rues sont agréables. On s'est un peu éloigné des attractions touristiques et au lieu des boutiques habituelles, on trouve les comptoirs plus quotidien du marché : viandes, légumes, etc. Les femmes font leurs courses vêtues de leurs djellabas et foulards, les enfants jouent et nous saluent en souriant. Je remarque, par ailleurs, que je n'ai pas vu ces groupes d'enfants miséreux qui mendient, ni d'ailleurs beaucoup de mendiants. Je ne sais pas si le Maroc est devenu plus riche ou si Marrakech, en vue d'asseoir sa stature de ville internationale, a fait en sorte de chasser la pauvreté de la Médina. En remontant vers le nord, nous retrouvons les touristes avec le souk aux épices. Le vendeur qui nous parle a bien rodé sa technique. "Comment vous appelez ça ?" Nous demande-t-il en nous mettant sous le nez une espèce de petit chardon jaune. Interloqués, nous ne savons que répondre. "C'est le cure-dent berbère", se répond-il à lui même en arrachant une petite brindille pour nous montrer. Puis il commence un cours sur tous ses différents produits, nous faisant sentir, goûter, tester, deviner, etc. Tout au long de ses explications, il nous assure de nombreuses fois de sa complète bonne foi : s'il nous raconte tout ça, c'est par pur amour de la transmission des connaissances, nous n'avons aucune obligation d'acheter quoi que ce soit. C'est d'ailleurs vrai, nous aurions sans doute pu repartir les mains vides. C'est un pari qu'il fait... Mais évidemment, notre curiosité a été éveillée et nous avons ENVIE d'acheter ! Tout comme les trois françaises qui nous ont rejoint pendant l'exposé, nous repartons avec du thé royal et du Raz-el-hanout broyé devant nous. Les prix au kilo sont affichés sur les étalages ce qui rassure les touristes comme moi qui n'ont aucun goût pour le marchandage mais n'empêche sans doute pas les amateurs de se lancer dans les interminables palabres.

Nous déjeunons sur la place des Ferblantiers. Les serveurs des terrasses des différents restaurants se disputent les touristes comme des rapaces : qui aura le droit à sa commission, celui qui nous a parlé la première fois ou celui qui nous a finalement assis sur une chaise ? On nous sert des sandwichs et des pastillas. Sur les remparts du palais El Badîî, les cigognes ont installé leurs nids. A nos pieds, des chats salivent et attendent qu'un bout de viande s'échappe de notre assiette. Ce palais, nous en chercherons longtemps l'entrée avant de découvrir qu'il est en travaux et qu'on ne peut pas le visiter. Mais nous verrons la jolie mosquée Moulay El Yazid (de l'extérieur, on ne peut pas rentrer...) et les tombaux Saadiens à ses pieds qui datent du XVIème siècle.

Après ça, nous remontons vers le nord, dépassons la place Jemaa El-Fna, puis notre hôtel, et marchons encore un moment avant de sortir de la Medina. Entre ancienne et nouvelle ville on trouve une grande place et encore un marché (comment peut-il y avoir autant de marché ?). Là, nous n'arriverons pas à échapper au vrai-faux guide qui nous a repéré à la sortie de la Médina. Il a bien compris que nous allions au jardin Marjorelle et a décidé de nous montrer le chemin (sans que nous n'ayons rien demander). Il faudrait beaucoup de fermeté pour empêcher l'homme de nous guider ou beaucoup de volonté (et un peu de méchanceté) pour ne rien lui donner une fois qu'il a marché avec nous pendant 10 minutes. Il nous dit qu'avec la COP22, les autorités sont devenues beaucoup plus sévères et qu'il a beaucoup de mal à faire son métier (de vrai-faux guide donc). D'ailleurs, il ne nous laisse pas exactement aux jardins mais un peu avant, sans doute de peur de se faire repérer.

La plupart des touristes se contentent de se faire déposer en bus ou en taxi juste devant le jardin. Il est vrai que la ville nouvelle a moins de charme que l'ancien centre mais l'architecture reste en harmonie, utilisant les mêmes couleurs, les mêmes formes. Et bien sûr, ça doit être beaucoup plus pratique pour vivre. Espérons simplement que la Médina ne devienne pas qu'une ville musée où toutes les maisons auront été rachetées par les européens (d'après le chauffeur de taxi, les saoudiens, eux, se font construire des villas sur les hauteurs).

Le Jardins Marjorelle est une création du peintre français Jacques Marjorelle qui a par la suite été repris par Yves Saint Laurent. Entre ses allées luxuriantes, on trouve l'ancien atelier du peintre qui accueille le musée de la culture Berbère. Les murs sont d'un bleu profond, dans un style rappelant l'architecture arabe mais teinté de modernisme. Installés dans le café, fatigué de notre journée de marche, nous buvons du thé à la menthe dans ce charmant environnement. Plus tard, nous prenons le taxi pour rentrer et allons nous reposer à l'hôtel.

C'est la fin de notre très court séjour. Nous passons la soirée chez une connaissance de Seb, un français qui s'est installé ici comme de nombreux entrepreneurs qui espèrent y trouver la prospérité (le Maroc offre des gros allègements d'impots aux nouvelles entreprises). L'occasion d'apercevoir d'autres versions de Marrakech que la touristique Médina, celui des riches villas de banlieues qui rappellent habilement la tradition dans leur architecture. Et dans la nuit, derrière le terrain de Golf, on devine les montagnes de l'Atlas qui nous appellent par leur simple stature. Nous ne verrons pas le Marrakech pauvre, qui doit pourtant exister, mais qui n'est pas celui des français qu'ils soient touristes ou expatriés. Au matin, nous prenons le petit-déjeuner sur le toit terrasse, profitant une dernière fois du soleil et du chant des oiseaux. Puis nous voilà à l'aéroport (magnifique par ailleurs) et bientôt sous la pluie parisienne...