Le lac apparaît comme la mer derrière la ligne dorée des champs de Colza. C'est la fin de l'après-midi et nous atteignons le bout de la route 155 qui relie Trois-Rivières au Lac Saint-Jean. Nous avons encore plus d'une heure de route pour rejoindre le camping que nous avons réservé du côté de Vauvert au nord ouest du lac.

Il est plus de 20h quand enfin nous arrivons, fatigués d'entendre pour la énième fois l'histoire du "Loup qui fêtait son anniversaire" qui nous a servi à faire patienter l'enfant qui, lui aussi, en a marre de la route. Fatigués mais efficaces. En moins d'une heure, la tente est montée, les affaires essentielles installées, et le repas de pâtes au pesto servis. Ce laps de temps est suffisant pour comprendre la principale difficulté du lieu remarquée aussi par l'enfant : "Maman, les moustiques, ils me grattent". Il est connu dans tout le Québec que la période critique pour les "bibittes" (maringouins, mouches noires et autres trucs qui piquent) est la fin juin / début juillet. N'importe qui qui a vécu ici vous raconte des histoires d'horreur de touristes attaqués par des nuages d'horribles bestioles assoiffées de sang. En partant après le 15 juillet, on pensait être épargnés. Mais visiblement, les moustiques du Lac Saint-Jean n'ont pas reçu la note indiquant que leur période active arrivait à terme. Ce n'est pas un nuage comme dans les descriptions d'horreur mais une présence multiple et constante qui bourdonne tout autour de nous. Au bac à sable, où je dois rester immobile à pousser l'enfant sur la balançoire, je crois devenir folle à chasser la dizaine de bestioles qui me tournent en permanence autour du visage. J'écourte la séance de jeux et nous rentrons vite nous installer sous la tente, protégés par la moustiquaire, où nous pouvons gratter en paix les bouton déjà nombreux.

La pluie arrive pendant la nuit. Au petit jour, nous sommes réveillés par les grondements de l'orage et les gouttes qui s'abattent sur la tente. Mais notre petit édifice est solide et nous restons au sec. Quand nous sortons, nous réalisons que la pluie est quasiment arrêtée. Par contre, les moustiques tout excités par l'orage sont virulents et nous cherchons à nous échapper au plus vite dès la fin du petit déjeuner.

Nos plans pour la journée ne sont pas encore bien arrêtés. On commence par aller voir la petite ville de Dolbeau-Mistassini mais le centre-ville n'est pas très engageant. Le supermarché beaucoup plus et on trouve de quoi se ravitailler. On va ensuite se promener dans le parc des Grandes Rivières où la rivière Mistassibi se jette dans la rivière Mistassini qui elle-même rejoint le lac. Le long du chemin, nous trouvons une petite plage au bord de la rivière. Le soleil est revenu. Nous sommes seuls sur la minuscule plage de sable entourée de forêts. La rivière, magnifique coule dans son large lit formant courants et petits rapides au loin. Elle est d'une couleur légèrement rouge, teinte acquise dans les tourbières du nord où elle prend sa source. Près de la plage, l'eau est calme et l'enfant qui s'est déshabillé, barbote avec délectation. Nous grignotons notre pique-nique les pieds dans l'eau dans le splendide paysage.

Plus tard, nous continuons la promenade et l'enfant s'endort dans la poussette. Assis à l'ombre, nous organisons la suite de notre voyage et de l'après-midi.

J'ai trouvé l'adresse d'une petite ferme qui propose de la cueillette de fraises. Nous nous y rendons au réveil de l'enfant. Il est possible de se promener pour regarder les animaux : beaucoup de poules aux allures des plus bizarre, des lapins, des chèvres, des cochons et même un alpaga. L'enfant est euphorique. Il court de clapiers en poulaillers ne sachant plus où donner de la tête. Il est très difficile de le convaincre après un moment de laisser les animaux pour aller cueillir les fraises. D'ailleurs, il n'est pas du tout convaincu et on doit littéralement l'arracher du lieu sous ses protestations véhémentes. "On revient tout à l'heure" lui assure-t-on mais ça ne suffit pas à le calmer. Heureusement, la crise ne dure pas, la longue énumération de tous les animaux servant de pis aller le calme et un peu et on peut arriver tranquillement au niveau du champs de fraises.

Une jeune femme nous donne deux belles barquettes que nous allons remplir. L'enfant comprend plus ou moins comment repérer les fraises mûres mais préfère la consommation directe à la collecte en barquette. Ça n'a pas d'importance et fait partie du plaisir de l'exercice. Bientôt nous repartons vers la ferme avec les deux barquettes pleines, délicieuses fraises qui nous dureront plusieurs jours. Tandis que nous payons les fraises, l'enfant peut retrouver les animaux. Cette fois, il accepte de lui même de s'en aller quand nous mentionnons la suite du programme : la plage.

C'est la fin de l'après-midi et nous avons rejoint la longue plage de sable qui jouxte le camping. Le lac Saint-Jean est naturellement entouré de belles plages de sable, rappelant le bord de mer. Ce sont les restes des roches montagneuses érodées par les anciens glaciers. Par ailleurs, l'eau est à température idéale, environ 20 degrés et la baignade est un régal. On reste ensuite à profiter du soir qui tombe sur la plage épargnée par les moustiques et ne rentrons à notre tente qu'à la nuit tombée.

Le lendemain, la météo annonce un grand soleil et nous décidons de nous rendre au Parc National de la Pointe Taillon sur les rives du lac. C'est quelques dizaines de kilomètres à l'ouest du camping et nous arrivons en fin de matinée. Le parc forme une longue langue de sable à l'embouchure de la rivière Péribonka. Il y pousse une forêt mixte de conifères et de bouleaux. On commence par pique-niquer sur la plage avant d'organiser notre après-midi. Le tour de la pointe est une boucle de 45 kilomètres. Le moyen de transport privilégié est le vélo. On se lance donc dans la location de deux vélos et d'une petite voiture remorque pour transporter l'enfant.

Ça doit faire au moins 10 ans que je ne suis pas montée sur un vélo. De mes différentes expériences, je garde un souvenir très mitigé et je n'ai jamais adhéré à la mode récente du vélo urbain. Je me lance un peu maladroitement mais je m'en sors sans trop de difficulté. On commence la longue piste qui longe la mer. Je suis devant, Sébastien me suit et tire la petite remorque et l'enfant qui, rapidement, s'endort. Les conditions sont assez idéales. Il ne fait pas trop chaud, il fait beau, le parcours est plat. Les premiers kilomètres se font sans difficulté. Vers le kilomètre 6, on décide de faire une courte pause. À peine arrêtés, des nuées de moustiques se précipitent sur nos peaux nues et transpirantes. La pause est de courte durée, à peine le temps de boire un peu d'eau et de jeter un œil au paysage. La vue est magnifique : sur la gauche de la piste, la rive du lac et ses sables ocres, noirs et dorés, à droite la belle forêt.

Nous repartons. Je commence à être un peu fatiguée et à l'effort s'ajoute maintenant la désagréable sensation des piqûres de moustiques que je ne peux pas gratter. Je me dis que cette balade confirme ce que je savais déjà : je n'aime pas vraiment le vélo. Je trouve qu'on avance trop vite pour vraiment profiter du paysage. Comme on roule l'un derrière l'autre, je n'ai même pas le plaisir de la conversation. La moindre minuscule montée me paraît d'une difficulté extrême surtout que je n'arrive pas à passer les vitesses. Je me sens malhabile et gênée par la moindre sensation de sueur ou la moindre poussière sur mon visage.

Au kilomètre 10, on s'arrête au niveau d'un petit point de vue. On est encore très loin de la pointe mais il n'est pas question pour moi de faire les 45 kilomètres de la boucle. Nous décidons de faire demi-tour. Cette fois, Sébastien part devant avec l'enfant et je suis à mon rythme assez lent. La fatigue et le manque de motivation sont plus forts qu'à l'aller mais au moins je vois les kilomètres diminuer. Ils sont indiqués sur des petites bornes et chacun d'eux m'apparaît comme une victoire. Je pense à la jolie plage sur le lac qui m'attend à l'arrivée. Je chante aussi pour oublier l'effort. Enfin, j' atteins le parking de l'entrée et le centre de location. Je rends mon vélo, bois goulument l'eau fraîche à l'entrée de la plage puis m'écroule sur une chaise en attendant Sébastien qui est repassé à la voiture. Mon corps est douloureux, je sens la fatigue dans tous mes muscles et je suis tentée de ne plus jamais me lever de cette chaise. Mais la perspective de la baignade me motive à bouger de nouveau. Après un long moment sur la plage, nous retournons vers le camping où un petit concert est organisé au bord du lac.

Le jour suivant est notre dernier dans ce lieu mais le temps n'est pas aussi beau que la veille. Il fait chaud et lourd. Nous roulons jusqu'à Saint-Félicien qui est un peu plus au sud. Nous errons un moment dans le centre-ville et dans le petit parc très kitsch qu'on y trouve jusqu'à ce que la pluie nous force à nous rabattre dans un restaurant. L'averse est intense mais courte cependant, le temps pour l'après-midi reste incertain. Nous décidons d'aller visiter le grand zoo réputé de la ville ce qui, quelle que soit la météo, plaira à l'enfant.

C'est une bonne surprise. Déjà le zoo est installé au milieu d'une magnifique nature, traversé par une superbe rivière et donc la promenade en elle-même est très agréable. Par ailleurs, de grandes passerelles sont installées au dessus des très larges enclos et on a de beaux points de vue sur les animaux. Enfin, dans toute une partie du parc, les animaux sont en semi liberté. On y accède par un petit train combinant ainsi deux grandes passions des jeunes enfants : les animaux et les petits trains. Le train avance dans la forêt sauvage traversant aussi des reconstitutions d'anciennes fermes et villages de bûcherons et l'on peut observer les ours, les orignaux, les caribous, les bisons, les chiens de prairie et autres. Le parcours dure une heure ce qui est un peu long pour l'enfant qui n'a pas fait de sieste et s'agite de plus en plus. Lorsque l'on sort, on a peine le temps d'aller voir le tigre (qui était réclamé à grand cri) qu'il s'endort dans sa poussette à bout de force. Il est endormi lorsque nous passons devant les castors du Canada puis les chameaux de Mongolie. Je le réveille brièvement pour qu'il voit la petite ferme mais même les lapins et les chèvres ne peuvent retenir son attention et il replonge dans le sommeil. Il dort toujours quand nous l'installons dans la voiture et dormira tout le trajet du retour.

Un orage a éclaté tandis que nous étions sur la route. À notre arrivée au camping, nous découvrons qu'il n'y a plus ni électricité ni eau ! L'électricité revient un peu plus tard dans la soirée mais il faudra attendre le milieu de la nuit pour avoir de l'eau. C'est notre dernière soirée ici et la seule que nous passons réellement au camping avec les moustiques. Après trois jours, l'enfant a tellement de piqûres qu'on croirait qu'il a la varicelle. Moi, je passe tout mon temps à me gratter. Excédée ce soir là, je me cache sous une espèce de vêtement-moustiquaire avec capuche. En effet, j'ai beau m'asperger d'anti moustiques, ils continuent de m'attaquer de toute part, me piquant à travers mes vêtements et sur le moindre bout de peau disponible. Le lendemain, nous remballons tout notre bazar qui s'organise peu à peu et quittons le magnifique lac et ses embêtants moustiques.