Nous quittons l'Anse Saint-Jean et bientôt le fleuve majestueux apparaît devant nous. Nous rejoignons la route 138 : 1400 kilomètres longeant la rive nord du Saint-Laurent de la frontière américaine jusqu'à l'embouchure. En arrivant un peu avant Tadoussac, il nous en reste à peu près 800 à parcourir le long de "la côte nord", c'est-à-dire la rive nord de l'estuaire qui donne ensuite le golfe du Saint-Laurent. Il y a quelques années, je regardais cette route sur la carte tandis que je faisais le tour de la Gaspésie sur l'autre rive de l'estuaire. Cette unique route sur la côte me semblait mystérieuse et sauvage, ultime frontière avec l'immensité du nord. Je me demandais ce qu'elle cachait, ce qu'on pouvait y visiter, ce qu'il y avait à voir "là bas".

Tadoussac est la porte d'entrée de la côte nord. La ville est connue pour les excursions aux baleines qui viennent se nourrir à l'embouchure du Saguenay. Aujourd'hui, nous ne faisons qu'y passer. Nous patientons au dessus d'un splendide paysage pour prendre le bac et traverser le fjord. Une fois de l'autre côté, nous déjeunons de burgers à emporter et sommes pris de cours par une averse. Nous voilà serrés sous un petit préau avec l'enfant épuisé qui hurle. Il a d'abord pleuré car il voulait aller sous le préau tandis qu'on pensait rejoindre la voiture. À présent qu'on est finalement allé sous le préau, il pleure car il veut aller à la voiture.

Enfin, nous quittons Tadoussac et commençons à parcourir la côte. Nous sommes sur une belle route sauvage à travers une épaisse forêt de sapins. Parfois, la route rejoint le fleuve et nous surplombons des falaises rocailleuses tombant dans l'estuaire. À l'horizon, la Gaspésie apparaît comme un mirage. Le plus impressionnant sont les rivières que nous traversons toutes plus magnifiques les unes que les autres. Certaines sont larges et plates, ondulant entre les bancs de sable et les sapins. D'autres tombent en cascades et rapides juste sous nos roues.

Nous traversons aussi quelques petites villes. Si l'on reste sur la route 138, on ne voit en général qu'une sorte de zone commerciale, succession de motels, stations essence, et supermarchés. À droite de la route, s'étendent des zones résidentielles parfois assez mignonnes et qui ont de temps en temps un petit centre-ville. Mais tout est organisé autour de la voiture qui reste le seul et unique moyen de transport.

La côte nord paraît plus sauvage que la Gaspésie, mais elle est aussi plus industrielle. Le tourisme n'est qu'une petite partie de l'économie. On ne peut pas louper par exemple les silhouettes métalliques des immenses lignes à haute tension qui semblent couler à travers la forêt comme les rivières dont elles tirent leur énergie par les centrales hydroliques. La ville où nous nous arrêtons ce premier soir, Baie-Comeau, vit justement de l'activité engendrée par la centrale toute proche ainsi que de quelques usines associées, comme une usine d'aluminium.

Vu que nous ne nous arrêtions ici qu'un seul soir, nous avons opté pour une nuit à l'hôtel plutôt que de monter et démonter la tente ce qui nous prend beaucoup de temps et d'énergie. (la tente en elle même est simple à installer et à défaire mais toute l'organisation associée avec les sacs, les matelas, la nourriture, l'organisation du coffre et des affaires, est compliquée). Nous prenons donc une chambre dans l'un de ses motels au bord de la route 138 à l'entrée de Baie-Comeau. Comme nous avons un peu de temps avant le dîner et que le temps s'est éclairci, nous parcourons un peu la petite ville. Derrière la jolie zone résidentielle, on trouve une petite forêt qui descend vers le fleuve avec des chemins de randonnée. En quelques minutes, on se retrouve sur une plage rocailleuse avec un paysage digne des plus beaux films d'aventure. La forêt sombre se découpe sur le ciel du soir éclairé par la lumière du crépuscule. Elle descend sur les rochers léchés par les eaux de la baie qui s'ouvre sur l'immense estuaire. C'est à couper le souffle. Difficile d'imaginer qu'on est à peine à 20 minutes à pied de la zone commerciale de notre motel.

Nous remontons vers la ville, prenant des raccourcis hasardeux à travers les bois ce qui n'est pas vraiment du goût de l'enfant. Il est dans sa poussette et ça secoue un peu, il crie aussi "Non, pas dans la forêt ! Je vois plus rien !" dramatisant un peu la situation car, en fait, il fait encore tout à fait jour.

De retour à côté du motel, nous nous dirigeons vers un restaurant que j'ai repéré sur la carte. Il est le long de la route 138 et nous devons traverser plusieurs terrains vagues peu engageants. Il a beau être à 5 minutes à pied, tout est pensé pour y aller en voiture. C'est le seul restaurant que j'ai vu qui ne soit pas une chaîne type Tim Hortons ou Mac Donald. En fait, c'est un restaurant de grillade grec assez chic et visiblement LE restaurant du coin car toute la ville semble s'y être donné rendez-vous, contraste saisissant avec led rues larges et vides que nous parcourons depuis tout à l'heure. Il est plein et il nous faut patienter bien 20 minutes pour avoir une table. Mais le repas est très agréable et nous entendons pour la première fois parler Innu ce qui trouble un peu l'enfant.

Le lendemain, nous continuons notre route vers le nord est. Après Baie-Comeau, on croise moins de petites villes. Une d'elle est Godbout où nous faisons une pause pour visiter un refuge pour rapaces (toute occasion de voir des animaux est bonne à prendre). C'est un petit village quelques maisons posées le long de la mer. La côte est devenue plus plate et sablonneuse avec de grandes et belles baies. D'autres fois, la route monte une petite colline et on la voit alors devant nous sur des kilomètres à travers la forêt. Nous nous arrêtons un peu avant la ville de Sept-Îles. Notre tente est directement en face de la mer, séparée de la plage par une petite clôture au dessus d'un bosquet. Il est encore tôt et nous allons faire un tour sur cette jolie plage qui s'étend sur des kilomètres de part et d'autre du camping.

L'eau est très froide mais on peut tout de même se baigner. De jolis rouleaux éclatent à quelques mètres sur un banc de sable puis forment une piscine plus calme proche du rivage. Je me risque jusqu'aux rouleaux et fais quelques plongeons dans l'eau glacée de l'estuaire. L'enfant a décrété que l'eau était trop froide et refuse d'y mettre plus d'un orteil. D'ailleurs il n'est pas très satisfait, il m'explique qu'il voulait une "petite piscine" (comme au précédent camping) et pas "une grande rivière comme ça". On l'emmène ensuite aux jeux qui sont à l'intérieur du camping et on rentre manger au coin du feu près de la tente.

Le lendemain matin, je tente de le convaincre de se baigner dans le petit bassin formé par la marée basse mais il n'y a rien à faire : c'est trop froid. Nous roulons ensuite jusqu'à Sept-Îles. C'est une sorte de grosse bourgade avec un joli centre le long du fleuve. Tandis que l'enfant profite des jeux, je vais me renseigner pour les excursions. En effet, la ville tient son nom du petit archipel qui l'entoure, les sept îles. La plus grande s'appelle "La Grande Basque", on peut prendre une navette qui nous y dépose pour s'y balader.

Je réserve la navette pour l'heure suivante et nous préparons quelques provisions et affaires pour pass l'après-midi sur l'île. Nous achetons nos sandwichs au "casse croûte du pêcheur" et sommes prêts à partir. La navette est en fait une grosse barque à moteur. On porte de grosses vestes / gilets de sauvetage. Je suis installée sur le rebord pneumatic de la barque, Seb est assis sur un petit siège à l'arrière et l'enfant est par terre à mes pieds assis sur une veste. La traversée secoue un peu et il s'accroche à ma jambe de toutes ses forces.

Nous arrivons à la grande basque. La navette nous dépose près d'une jolie plage avec de longs rochers plats et du sable clair. C'est là que nous pique-niquons sur une table face à la mer. Puis nous partons à la découverte de l'île. Nous n'avons ni le temps ni le courage d'en faire le tour complet qui doit faire environ 10 kilomètres. Nous visons simplement un point de vue à plus ou moins 2km du quai. L'île est recouverte de forêt et le chemin part à travers les bois. Bientôt nous débouchons sur une seconde plage toujours aussi magnifique et sur laquelle se trouvent plusieurs campeurs. Car en s'y prenant à l'avance, on peut en effet camper sur l'île. Mais ça demande une grosse organisation car les installations sont assez sommaires. L'enfant est dans le sac à dos sur son papa. Alors que nous avançons dans le bois, il s'endort. Nous arrivons devant le petit sentier qui rejoint le point de vue. Il est court mais raide et s'appelle d'ailleurs "la montée". Seb ne se sent pas de grimper avec l'enfant endormi sur son dos. On décide alors de faire ce dernier tronçon "en asynchrone". On pose l'enfant endormi dans son sac à dos par terre. Seb reste avec lui et je monte seule. Au départ, ça monte juste dans les bois avec quelques grosses marches mais bientôt il me faut pratiquement escalader les rochers pour continuer à avancer. Cependant, au sommet, la récompense est au rendez-vous. L'île s'étend devant moi avec ses collines couvertes de forêts et ses plages de rochers tout en bas. À l'est, je vois le reste de l'archipel se dessiner sur l'estuaire. De l'autre côté, on trouve le port de Sept-Îles dont nous sommes partis ainsi que le port industriel avec les ferris et les transport de marchandises. En effet, Sept-Îles est un des plus importants ports d'Amérique du nord pour les matières premières telles que le bois, l'aluminium et le fer.

Après avoir profité de la vue, je redescends et c'est à mon tour de garder l'enfant pendant que Seb monte. L'enfant se réveille avant le retour de Seb mais est encore un peu endormi et réclame le sac à dos pour la fin de la balade. Une fois sur la plage, il est bien réveillé et passe la dernière heure avant le retour à courir sur les rochers en inventant des histoires pendant que Seb et moi nous laissons reposer au soleil. La navette du retour secoue et éclabousse encore plus que l'aller. L'enfant emmitouflé dans son gilet de sauvetage est calé sur mes genoux en exigeant que je le tienne à chaque instant.