Les villes de la côte Adriatique n'ont pas le charme des villages de pierre de la baie de Kotor. On y trouve des tours de béton décorées d'appareils de climatisation, des complexes touristiques, des hôtels aux publicités criardes. Sur la route, de vieux monsieurs brandissent d'un air las des panneaux indiquant "sobe" (chambre) ou "apartmani". Cependant, entre les villes, la nature reprend ses droits et le paysage sa splendeur. Les falaises abruptes, surmontées de forêts ou parsemées d'oliviers parmi les buissons, tombent dans une mer d'azur. Au détour d'une route, des baies magnifiques apparaissent soudain, décorées de petites criques de galets ou d'îlots sauvages : la beauté derrière les barres de béton.

Sur la route du sud, nous décidons de nous arrêter à Sutomore avec l'idée d'y déjeuner. Ce nom, "Sutomore" m'évoquait sans raison une certaine poésie. Cependant, la ville n'est qu'un gros caillou de béton en plein soleil. Nous garons la voiture dans un parking poussiéreux et nous installons dans un café tandis que Seb va explorer la plage : peut-être peut on manger près de la mer. Sa description ne nous fait pas très envie : aucune ombre, seulement une marée de parasols, chaque centimètre carré semble occupé, les vacanciers s'installent même près de tas de bouteilles vides et autres petites ordures. Nous laissons tomber l'idée de la plage et partons plutôt vers la rue marchande. Les petites boutiques bruyantes et colorées offrent pléthore de babioles en plastique à des prix dérisoires. La petite voudrait tout acheter... Là on s'installe dans ce qui semble être un restaurant de burgers.

On est loin du cadre idyllique de Kotor et d'ailleurs les touristes d'Europe de l'ouest ne sont plus là et les serveurs ne parlent que très mal anglais. On soupçonne la foule de gens qui nous entoure d'être plutôt locale ou alors serbe ou russe. Les prix, eux aussi, ne sont plus les mêmes. À Kotor, on pouvait se faire une idée du revenu local dans les boulangeries où on achetait de grandes quantités de pain pour quelques euros à peine. Mais dans les restaurants, on était bien en prix français ! Un plat coûtait facilement entre 10 et 20 euros voire plus. Ici, on mange à 4 pour 15 euros. Et, à notre grande surprise, c'est très bon. On nous sert des plats locaux de type cuisine familiale : goulash et une sorte de hachis au poulet.

Encore un peu de route et nous voilà arrivés dans notre location, à quelques kilomètres au nord d'Ulcinj. Nous sommes dans un petit village : quelques maisons parsemées dans la montagne et la mer juste en dessous. Nous logeons à l'étage d'une maison de vacances. Notre hôte est un Russe de Saint-Petersbourg qui se montre très aimable bien qu'il ne parle ni français ni anglais. C'est un logement assez simple, le moins cher de notre séjour à 30 euros la nuit. Mais, à ce prix là, pas de clim et un confort basique. Les fenêtres sont toutes tendues de moustiquaires ce qui permet de les laisser ouvertes. Il y a une petite cour avec des chaises longues, ombragée par une vigne.

En descendant 5 minutes à pied la petite route au milieu des oliviers, figuiers et grenadiers, on arrive sur une jolie plage. On y trouve un petit hôtel et un café, des parasols installés un peu partout. Le sol est un mélange de galets, rochers et sable.

Le lendemain de notre arrivée, nous décidons d'aller jusqu'à Ulcinj. C'est une ville de taille moyenne plutôt agréable. Elle est un peu touchée par la folie consumériste de la côte mais de façon moins extrême qu'ailleurs. Nous sommes à la pointe sud du Monténégro, très proche de l'Albanie. Et d'un point de vue culturel, c'est déjà l'Albanie : ici les gens parlent en majorité albanais et sont musulmans. D'ailleurs, une jolie mosquée dresse son minaret en face de la plage couverte de parasols et de vacanciers. On trouve ici la même frénésie brouillonne de cité balnéaire que partout sur la côte. Nous déjeunons dans un kebab assez bon où ils servent, pour mon grand plaisir, de l'Ayran, ce lait-yahourt que l'on trouve du Magreb à la Turquie (et ici visiblement). Au dessus de nous, la vieille ville nous regarde du haut d'un gros rocher mais il fait trop chaud pour nous y rendre maintenant.

Lorsqu'on dépasse Ulcinj, vers le sud-est de la ville, le paysage change subitement. On quitte les reliefs qui suivaient la côte et on arrive sur une grande plaine mouillée de marais où poussent des pins dans une poussière jaune. Derrière les pins : une immense plage de sable qui doit bien faire 20 kilomètres de long. C'est là que nous allons nous baigner ce premier après-midi. Nous avons roulé un certain temps sur la route de cailloux puis tourné au hasard peut-être au tiers de la longueur. Il y a beaucoup de monde mais comme la plage est grande, on a tout de même de l'espace. Il souffle un léger vent. Les parasols se perdent à l'infini dans un mélange de sable et de soleil. Vers le sud, on aperçoit dans la brume les montagnes de la côte albanaise. Nous nous sommes installés d'office sur les chaises longues d'un parasol pour profiter de l'ombre. Partout, les plages sont envahies d'emplacements payants que l'on peut louer pour la journée. Cependant, l'après-midi étant déjà bien entamée, personne ne vient nous chasser ou nous réclamer de l'argent. Tant mieux : il nous est impossible de rester en plein soleil et le confort des chaises est appréciable. Les enfants s'amusent dans le sable; des vendeurs ambulants nous proposent babioles et sucreries. La mer est chaude, on s'y enfonce très progressivement et il faut marcher longtemps pour ne plus avoir pied. Nous nous baignons avec langueur et laissons ainsi doucement couler l'après-midi…

Le jour suivant n'est pas non plus très actif. En début d'après-midi, on se rend à pied à une autre plage accessible depuis chez nous mais plus lointaine. Là bas, on déjeune dans un petit restaurant. Pour se baigner, c'est plus compliqué : il fait encore très chaud et l'ombre est rare. On trouve à s'installer sous un buisson et rejoignons l'eau claire. La plage est faite de galets et, dans l'eau, on trouve des algues et des oursins qui rendent toute avancée périlleuse. Cela explique pourquoi il n'y a pas grand monde. Nous voyons "notre" plage un peu plus loin et décidons de la rejoindre par le rivage. Cela s'avère plus long et plus compliqué que prévu. Nous crapahutons dans les cailloux, sous le soleil tapant, portant le bébé, les serviettes et toutes les affaires. La petite saute sur les rochers sans aucun problème et s'amuse beaucoup.

Le soir, nous sortons de nouveau et allons cette fois visiter la vieille ville d'Ulcinj. Elle est toute petite sur son promontoire rocheux et paraît presque abandonnée. Comme elle offre une magnifique vue, elle est envahie d'une multitude de restaurants qui se disputent les touristes. Il y a deux mondes. En haut, on trouve celui de la vieille ville où les menus sont en anglais et allemand, où les plats sont luxueux et chers et les terrasses rivalisent de romantisme. En bas, la ville nouvelle avec ses vendeurs de kebabs, sa musique trop forte, ses babioles à 1 euro et sa foule. En journée, la foule est sur la plage, se serrant sous les parasols ou brûlant ses peaux trop blanches au soleil. Le soir, elle est dans les rues. Nous la croisons alors que nous redescendons en voiture du restaurant. La rue est noire de monde, vibrante d'une frénésie nocturne pleine de lumières clignotantes, de bruit et de musique.

Le jour suivant est celui de notre grande expédition vers le lac Skadar. Nous partons dans la matinée et prenons la petite route qui monte vers le nord. Nous quittons ainsi la côte et parcourons une jolie campagne plantée d'oliviers. La route monte petit à petit et nous apercevons au loin la mer. Et puis, au passage d'un col, voilà d'un seul coup le lac. Il s'étend, immense, magnifique, aussi bleu que le ciel qui se perd au loin dans la brume poussiéreuse du soleil de midi. Quelques îlots s'y découpent, formant des tâches vert sombre. Nous descendons vers la rive, prenant une route au hasard. Nous pique-niquons au milieu de nulle part, installés dans la voiture, le lac à nos pieds. Puis nous longeons la rive sud pour rejoindre Virpazar. La route est d'une beauté à couper le souffle. Nous sommes à flanc de montagne, serpentant le long d'une pente raide pleine de cailloux, desséchée sous le soleil. Et cette pente jaune et poussiéreuse tombe directement dans le lac juste en dessous de nous. Ce sont des couleurs vives et tranchées, exacerbées par le soleil, une impression de vertige et de beauté. Puis, le paysage se calme, il se perd au loin dans des collines bleutées au creux desquelles on trouve Virpazar. C'est une toute petite ville : un café, un pont, une rivière avec des bateaux. À peine arrivés, nous trouvons à faire une balade sur le lac. Nous sommes dans une grosse barque à moteur avec un petit groupe de touristes et avançons lentement au milieu des nénuphars. On peut observer les multiples oiseaux et le paysage enchanteur fait de collines et d'eau. Plus loin, quand il n'y a plus de nénuphars, nous pouvons nous baigner depuis le bateau. Il faut sauter de la petite échelle. La petite a mis ses brassard et se régale. Nous nageons avec plaisir dans l'eau tiède. Aussi agréable qu'elle fut, noys soupçonnons cette baignade d'être la cause de plusieurs jours très douloureux (à suivre..). En attendant, la promenade en bateau est terminée et nous rentrons chez nous par la route rapide qui rejoint la côte par un tunnel sous la montagne…