Il nous reste encore une journée à Ulcinj après la grande excursion au lac Skadar. Nous avons surtout prévu de nous reposer et de retourner voir plus tard la grande plage de sable. Mais dès le matin, la petite se plaint d'un mal de ventre. Assez vite, il devient clair qu'elle est malade et souffre d'une sorte d'intoxication alimentaire. Nous patientons alors tandis que la journée passe doucement, nous écrasant de sa chaleur dans l'appartement non climatisé. Nous discutons avec les Russes en bas pour voir s'il est possible de faire venir un docteur. Ils nous donnent l'adresse d'un centre de soin. La petite s'est endormie : nous irons si son état empire.

En attendant, dans la moiteur brûlante de la fin d'après-midi, Seb et moi décidons de descendre à la plage. C'est en remontant que les choses se gâtent. Tout commence par une légère nausée puis Seb me dit que lui aussi a mal au ventre. Très vite, impossible de nier l'évidence : nous sommes malades nous aussi. La soirée puis la nuit arrivent. Nous sommes étendus dans cette chambre trop chaude, à nous tordre de douleur sur le lit. La malchance veut que l'eau et l'électricité soient coupées plusieurs heures ce soir là. Il faut se débrouiller avec un gros bidon d'eau laissé en prévision par le propriétaire. Heureusement, la petite va mieux que nous et dort à présent. L'eau revient dans la nuit : je prends plusieurs fois des douches froides pour me rafraîchir. Ce n'est que vers 4h que je m'endors d'un sommeil douloureux.

Le lendemain, nous nous réveillons encore très faibles. Impossible pour moi de manger quoi que ce soit : je bois avec difficulté une tisane sucrée. La petite va mieux. Elle ne mange pas beaucoup mais semble en pleine forme. Nous devons déménager aujourd'hui. Le Russe nous a proposé de rester une nuit de plus mais nous avons réservé notre prochain logement et, par ailleurs, il devrait être plus confortable. Cependant, Seb et moi avons beaucoup de difficultés à ranger nos affaires. Nous commençons par dormir toute la matinée et ce n'est qu'en début d'après-midi que nous lançons le départ. Après chaque mouvement, il nous faut 5 minutes de repos. Heureusement, la maman va bien ainsi que le bébé. Voilà qui me fait soupçonner très fortement la baignade dans le lac d'être la cause de nos malheurs. Je revois très distinctement la petite avaler goulument des gorgées entières de cette eau douce et tiède tandis qu'elle nageait près du bateau. Nous aurons plus tard la confirmation que nous ne sommes pas les seuls touristes à avoir souffert d'une telle mésaventure…

La maman s'est occupée de ranger l'appartement. Seb et moi nous traînons tels des loques jusqu'à la voiture. Seb est déshydraté et trop faible pour conduire. Moi, je vais mieux, je manque de force mais tant que je suis assise, ça va : c'est moi qui prends le volant. Il n'y a que 45 minutes de route, nous remontons la côte vers le nord jusqu'à la petite ville de Petrovac. Nous sommes accueillis par un couple de Russes. Ils possèdent le petit immeuble dans lequel nous logeons et sont installés dans l'appartement au dessus du notre. L'immeuble en question n'est pas terminé : il reste des plateformes de béton brut hérissées d'acier, la porte-fenêtre de la chambre donne sur un trou en friche. Mais dans ma fatigue, l'appartement m'apparaît comme un havre. Il est neuf, clair et frais. Je m'étends sur le canapé blanc et regarde la mer en contre-bas dans la fraîcheur de la climatisation… La journée s'écoule ainsi. Seb parle d'aller à la plage mais s'endort finalement. La petite, qui va mieux, s'ennuie un peu. Heureusement, la propriétaire nous a apporté une collection de DVD de dessins animés en russe...

Le lendemain, après une nuit de repos, Seb et moi allons mieux. Je peux recommencer à me nourrir, doucement et prudemment. Cependant, c'est la petite qui a fait une rechute et est à nouveau malade. Inquiets de cette dégradation, nous cherchons les adresses des centres de soins et hôpitaux à Budva et Bar, les deux villes dont nous sommes le plus proches. Les propriétaires russes viennent à la rescousse et trouvent, enfin, à nous appeler un médecin ! Les autres partent faire des courses et je reste garder la petite qui s'est mise en boule sur le canapé.

C'est notre troisième journée de maladie, la deuxième dans ce bel appartement. Je passe mon temps à regarder la vue magnifique par la fenêtre. Le matin, la mer et le ciel sont d'un même gris vaporeux, séparés seulement par la ligne, plus sombre, de l'horizon. Puis, tandis que le ciel reste clair, presque blanc, la mer prend son bleu profond et vif qui tranche le paysage. Enfin, le soir, les deux se confondent à nouveau, rose, orange, rouge, dans l'explosion du crépuscule.

La docteure est arrivée. Elle ne parle pas anglais : nos échanges se font par gestes et par Google translate. Elle examine la petite : il n'y a rien d'alarmant, il faut seulement faire attention à la déshydratation. Elle nous laisse une ordonnance et malgré la différence de langue et les bizarreries de la traduction automatique, nous comprenons à peu près les instructions. Est-ce le sirop ou simplement que la crise est finie ? En tout cas, le soir, la petite va beaucoup mieux et après être restés enfermés tout ce temps, nous n'en pouvons plus et décidons de sortir. Nous arrivons à la plage de Lucice à la nuit tombante et Seb et moi prenons un bain nocturne.

Après ces trois jours de maladie accompagnés de leurs éprouvantes mauvaises nuits, la journée suivante n'est pas de trop pour reprendre des forces. Nous ne sortons que dans l'après-midi et redescendons à la plage. Petrovac est une ville de vacances, elle ne semble être faite que d'appartements saisonniers. Ses rues sont pleines d'un flot continue de familles en maillots de bain, de paréos et de parasols, de grosses bouées et de serviettes de bain. La plage de Lucice est moins agréable en journée que le soir : pleine de monde, il est difficile d'y trouver une place et l'ombre est rare. On s'est finalement installé dans un petit coin et nous profitons tout de même de cette belle mer Adriatique et du toboggan aquatique qui fait le bonheur de la petite. Le soir, nous prenons la voiture jusqu'à Budva, à 20 minutes au nord. On quitte l'ambiance gentiment familiale de Petrovac et on arrive dans le monde bling-bling d'une ville côtière branchée. Ici, ce sont les boîtes de nuit et les bars de luxe qui étalent leurs affiches et leurs terrasses pleines de cocktails colorés. Dans le port, les yachts à trois étages rivalisent de m'as-tu-vu. Quand on voit des groupes d'hommes bedonnants discutant affaires en sirotant un apéritif sur l'un de ces bateaux à pavillon italien, on se croirait dans un épisode des Soprano. La vieille ville est, encore plus qu'à Dubrovnik et Kotor, envahie par les boutiques où des vendeuses nous servent des sourires froids et fatigués. Derrière ce flot consumériste, difficile d'apprécier la beauté du lieu… Nous trouvons cependant un restaurant agréable et terminons ainsi notre soirée.

C'est déjà le dernier jour pour la petite famille qui nous accompagne. On profite une dernière fois de Lucice puis on part faire un tour en voiture jusqu'au parc du Lovcen. On monte en voiture jusqu'au sommet d'une montagne où l'on trouve l'étrange mausolée de Petar Il : son tombeau, tel un temple moderne, surplombe les collines décharnées du parc, poussiéreuses dans cette chaude journée d'été. La balade au Lovcen vaut surtout pour la route que nous prenons ensuite qui redescend vers Kotor. La baie, qui ne cesse de nous surprendre par sa beauté, apparaît d'un seul coup, presque dans son ensemble, argentée et brumeuse, mystérieuse dans le ciel du soir. Et ce soir, justement, nous retrouvons Kotor, animée par la fête du carnaval. Après le dîner, nous regardons défiler les groupes costumés. Les peaux moites se couvrent de sueur dans la chaleur nocturne qu'aucun souffle de vent ne vient rafraîchir. L'unique route est bloquée par le carnaval, nous n'avons d'autre choix que d'attendre la fin du défilé en tentant de se rafraîchir en mangeant des glaces.

Le lendemain, nous remontons une dernière fois la côte : Budva, Tivat, le bac qui traverse la baie, puis Herveg Novi et la frontière. La maman, la petite et le bébé repartent depuis Dubrovnik et nous entamons à deux la dernière partie de notre voyage…