Après avoir profité une dernière fois de la vue magnifique depuis Ruhija en prenant un copieux petit déjeuner, nous reprenons la route. Il faut traverser la forêt mais les gorilles ne nous feront pas le plaisir de croiser notre chemin (il parait que ça arrive parfois). Assez rapidement, nous voilà de l'autre côté de la montagne, descendant dans la vallée en traversant les habituels multiples petits villages. Pour la première fois, des enfants nous réclament explicitement quelque chose : « give me, give me ! » (ils ne disent pas toujours ce qu'il faut leur donner). Cependant, je n'appellerais pas ça de la mendicité. A vrai dire, nous n'avons vu aucun mendiants depuis le début du voyage. Ici, il me semble plus que ce sont des gamins malins qui ont compris qu'ils avaient bien peu à faire pour récupérer quelques trésors (bonbons, pièces, etc) de la part des riches touristes naïfs qui traversent leur village.

Bientôt, nous rejoignons la grande route qui mène à Kabale. Plus nous approchons de la ville, plus la circulation s'intensifie. C'est jour de marché et, dans les villages, le commerce bat son plein mêlant marchandises, bétail, deux-roues et piétons. La ville elle-même est animée de la même agitation urbaine, poussiéreuse et chaotique que Kampala ou n'importe quelle autre grande ville du pays. Les travaux pour goudronner la rue principale n'arrangent rien. Les bodas-bodas se faufilent partout tandis que nous évitons tant bien que mal de tomber dans les trous béants ou de tamponner les pelleteuses. Nous profitons de notre passage pour refaire le plein en essence, vivres et argent puis nous nous éclipsons vers le sud. A quelques kilomètres, on trouve le très mignon lac Bunyonyi.  Avec sa myriade de petites îles, ses rivages ondulés et sauvages bercés par le chant des oiseaux, c'est un vrai petit paradis. On pourrait facilement y passer des vacances entières à rêvasser au bord de ses eaux profondes et claires. Nous n'avons qu'une seule nuit…

Nous logeons dans un resort touristique, véritable station balnéaire inondée par les tours operators (nous n'avons jamais vu autant de gens) mais tout à fait charmante. Ils offrent des pavillons avec vue sur le lac, un gazon vert entouré de massifs fleuris pour planter sa tente ou tout simplement se reposer. Des touristes grillent gentiment au soleil sur des pontons en bois et nous grignotons nos chapatis achetés à la boulangerie de Kabale.

Nous aurions pu quitter le resort et retourner au village voisin où des locaux proposent de jolies promenades autour du lac en canoë.  Ainsi, nous aurions découvert les îles et les rivages au-delà de la petite baie où nous logeons. Mais, oubliant nos piètres performances passées et rêvant d'indépendance et de solitude, nous louons nous même le dit canoë et partons à l'aventure. Très vite,  la dure réalité se rappelle à nous : nous ne savons pas pagayer et sommes de véritables quiches en canoë. Nous n'arrivons pas à avancer. Au lieu de filer droit comme il se doit, notre embarcation ne cesse de tourner. Nous devenons spécialistes de la « toupie », admirant à l'infini le même paysage à 360 degrés. Par ailleurs, dès que nous faisons le moindre mouvement, la petite barque en bois vacille de façon inquiétante. Nous sommes tellement nuls que le loueur a pitié de nous. Il nous rejoint pour nous proposer un autre canoë : un peu plus grand et plus stable. Nous arrivons à changer de bateau au milieu de l'eau sans tomber ce qui est déjà une victoire. La nouvelle embarcation est un peu meilleure, nous tournons moins, mais tournons quand même régulièrement. De temps en temps, nous arrivons par miracle à avancer de quelques mètres. Ce qui est frustrant, c'est de voir les autres canoës qui, eux, avancent sans problème. Les pêcheurs locaux, debout à l'arrière de leurs barques sont si gracieux, ils ne semblent même pas fournir le moindre effort. Mêmes les autres touristes donnent l'impression de se déplacer dans la direction qu'ils choisissent et non pas n'importe où, comme nous. Heureusement, deux touristes allemandes nous redonnent notre dignité perdue. Aussi nulles que nous, elles nous rejoignent dans l'exercice involontaire de la toupie.

Seb est assis à l'arrière et c'est donc lui qui est censé diriger. Cependant, fatigué et découragé, il capitule. Nous nous livrons alors à un enchaînement d'acrobaties bien peu élégantes pour réussir à échanger nos places sans chavirer. J'ai l'impression que je me débrouille légèrement mieux que lui (peut-être aussi qu'on a mieux compris le principe qui semble simple en théorie mais très difficile en pratique). En tout cas, j'arrive à nous faire avancer un petit peu. De toutes façons, assez vite, on décide de revenir vers le bord (on a peur de ne jamais réussir à rentrer si on s'éloigne trop). Avec patience, nous retournons vers l'embarcadère, lutant contre les tendances tournantes de notre embarcation. Régulièrement, le canoë gagne. Vaincus, on le laisse alors faire une toupie complète jusqu'à ce qu'il se retrouve naturellement dans la bonne direction ou nous pagayons alors frénétiquement pour gagner quelques mètres avant le prochain tour de manège. Nous voilà revenus au bord. On aura pas vu toutes les petites îles mais c'était tout de même amusant.

Le lac Bunyonyi a une particularité intéressante : non seulement il n'y a ni hippopotames, ni crocodiles, mais il a la réputation d'être exempt de bilharziose, cette maladie très embêtante due à un parasite qui sévit dans toutes les eaux douces africaines. Cependant, cette réputation n'est pas complètement confirmée scientifiquement, rien n'est officiel. Visiblement, ça n'empêche pas les nombreux touristes de l'hôtel de se baigner et de plonger dans la belle eau du lac. L'après-midi touche à sa fin, la température est douce, la tentation est grande. Je ne résiste pas. Je ne reste pas longtemps dans l'eau mais le plaisir de l'eau fraîche est sans égal. Sébastien me suit un peu à contre coeur, un peu plus inquiet que moi. En sortant, nous nous rincerons abondamment et nous sécherons bien. Le risque est très faible, l'avenir nous le dira… Sur le ponton où nous nous sommes baignés, nous avons croisé un couple belge qui n'avait jamais entendu parler de la maladie. Après nos explications, ils ont l'air légèrement inquiets (tu m'étonnes...). Je ne comprends pas comment on peut partir en voyage dans ce pays sans avoir entendu parler de la bilharziose : n'importe quel guide, n'importe quel « conseil santé » que ce soit sur l'Ouganda ou l'Afrique de l'Est en général la mentionne très clairement. On aurait peut-être aussi dû leur parler du paludisme, de la fièvre jaune, de la mouche tsétsé, ou bien tout simplement leur rappeler qu'ils étaient bien en Afrique sur l'équateur et pas sur la Côte d'Azur… Enfin bref, j'espère pour eux qu'ils n'auront pas de mauvaise surprise !

La soirée se termine dans la douceur tranquille de ce joli rivage. Nous dînons tandis que le soleil se couche. Le lendemain, nous disons au revoir à Bunyonyi, et continuons notre voyage qui s'approche doucement de sa fin. Il nous faut traverser Kabale (ce qui n'est pas simple à cause des travaux) puis partir vers le nord, vers Kampala. Notre dernière étape sera le parc National du lac Mburo à mi-chemin entre Kabale et la capitale. La route qui relie les deux villes est de très bonne qualité, non seulement elle est goudronnée mais on trouve des panneaux d'entrée de ville, des limitations de vitesse, du marquage au sol, etc. Ca ne la rend pas moins dangereuse pour autant, au contraire. Sur les petites pistes cahotantes, on ne peut pas aller bien vite. Dès que la route est de meilleure qualité, la vitesse augmente ainsi que les dépassements hasardeux. Et sur le bas côté, on trouve toujours de nombreux passants, en particulier, de jeunes enfants. Par ailleurs, c'est sur cette route que nous serons victime pour la première fois d'une désagréable malhonnêteté. Alors que nous roulons, un couple de policiers nous fait stopper sur le bord de la route. Nous sommes passablement surpris de voir de la police de la route. Le policier nous parle, il nous reproche un excès de vitesse. En effet, nous roulions à 60 et l'on voit quelques mètres devant nous le panneau indiquant la fin de la limitation à 50. Vu le non respect général du code de la route, cela semble assez ridicule, surtout que nous sommes déjà largement sortis du village et qu'on ne peut pas compter systématiquement sur un panneau « sortie de ville ». Enfin bon, nous faisons profil bas, nous nous excusons. Le discours du policier oscille entre « c'est une très grave offense » et « je ne veux surtout pas vous porter préjudice ». Je comprends assez vite où il veut en venir. Il nous dit que s'il nous met une amende, nous devrons retourner à Kabale pour la payer, qu'il n'y a pas d'autres moyens. Puis évidemment, il parle de « s'arranger entre nous », « entre amis ». On finit par lui donner de l'argent, 100 000 shillings, ce qui fait environ 12 euros. Dès que nous repartons, nous regrettons. Nous aurions dû insister pour recevoir l'amende, on aurait pu s'arranger plus tard. C'est la menace de Kabale qui nous a eue, la peur de perdre notre journée. Mais on aurait pu prendre l'amende et ne pas faire demi-tour pour autant. Enfin bon, c'est toujours un peu décevant. En dehors de ce léger incident, je n'ai trouvé que des gens particulièrement honnêtes ici. Dans les parcs, des guides nous ont déjà rappelés car nous avions oublié notre monnaie. La corruption ne semble pas être un phénomène généralisé, je suppose simplement que la tentation de l'argent facile est trop forte…

Plus tard, nous faisons une pause sur la route. Nous sommes sur le bord d'un chemin, juste à côté d'une petite maison. Une jeune femme sort, elle insiste pour que nous nous garions un peu plus loin, dans son champs, car elle trouve dangereux d'être si près de la route. Elle est fermière, elle a quelques vaches, mais visiblement c'est une vie très modeste. Elle porte dans ses bras son mignon petit garçon de 2 ans. Un peu plus tard, elle revient. Je pensais qu'elle allait nous demander de l'argent, mais non, elle demande simplement si, par hasard, on serait à la recherche d'une bonne à tout faire, d'une employée de maison, car elle cherche un travail. Je lui réponds que nous ne vivons pas dans le pays. Elle est un peu déçue mais elle n'avait pas beaucoup d'espoir. Elle semble tout de même contente de nous avoir rencontrés, de nous avoir prêté son champs. En repartant, je veux lui faire signe, mais elle est rentrée chez elle.