Dubrovnik

Nous arrivons à Dubrovnik le jeudi soir : il fait déjà nuit, l'air est doux et il flotte un léger parfum de pluie. Le temps de récupérer la voiture de location, il est près de 22h quand nous arrivons à l'appartement. Nous louons un logement sur les hauteurs nord de la ville moderne, au rez-de-chaussée d'une grande tour qui donne sur la mer. Les lumières nocturnes du port apparaissent en contre-bas. Nous les admirons tandis que nous descendons vers la petite pizzeria locale pour récupérer notre dîner.

Le lendemain, nous partons à l'assaut de la vieille ville. Nous sommes tout un petit groupe incluant deux jeunes enfants. Il est midi quand nous sortons; le soleil tape. De chez nous, il faut descendre un long escalier jusqu'au port d'où nous pouvons prendre un bus qui nous déposera à la vieille ville. Le bus arrive et nous entamons les quelques minutes de trajet dans l'étouffante chaleur au milieu des autres touristes comme nous, désargentés, qui ont choisi les transports publics plutôt que le parking payant. Le bus nous dépose au pied des rampars, sur une grande place pleine d'une foule suante et accablée de soleil que des agents de voyages alpaguent tous les trois mètres pour proposer des sorties en kayak et des visites spéciale "Game of thrones". En effet, Dubrovnik, déjà perle du tourisme dans la région, a acquis une nouvelle renommée en devenant un des lieux de tournage de la série à succès. Nous nous échappons à l'ombre des arbres pour comprendre où nous sommes et où nous allons et profiter de notre première vue sur les hauts murs de la ville.

J'ai peu de souvenirs de ma première visite ici il y a déjà 12 ans et la note écrite à l'époque ne m'apprend pas grand chose de mon séjour. Nous logions dans un camping assez désagréable à l'est de la ville. De Dubrovnik même, je me souviens des rampars, des hauts murs blancs, d'une impression vague de majesté moyenâgeuse. Cependant, je pense pouvoir affirmer qu'il n'y avait pas autant de touristes. À l'époque, le nom de "Croatie" évoquait encore la guerre récente dont Dubrovnik avait particulièrement souffert. Le Monténégro où nous nous rendrons bientôt n'était pas encore indépendant et nous n'aurions pas eu l'idée d'y aller. Aujourd'hui, il y a eu d'autres guerres et d'autres troubles dans d'autres pays qui ont fait oublier celle des Balkans : la Croatie est redevenue le symbole des plages turquoises, des îles paradisiaques et des villes historiques pleines de touristes internationaux hébétés.

Nous appartenons à cette dernière catégorie et rejoignons le troupeau des jupes à fleurs, des peaux trop blanches et déjà brûlées et des grands chapeaux qui se pressent sous les hautes portes de la ville. Devant nous : une grande allée pavée de pierres et bordée de belles façades blanches. La ville n'a rien perdu de sa beauté. Cependant, il est difficile de l'apprécier sous la chaleur du zénith, au milieu la constante foule suivant les nombreux guides qui brandissent des drapeaux et beuglent des explications en diverses langues. Nous marchons, accablés de soleil, tentons de lire nos plans et de reconnaître les bâtiments. La petite commence, avec raison, à se plaindre. Enfin, nous trouvons le vieux port et admirons l'eau fraîche qui nous attire ainsi que les poissons et les bateaux. Nous commençons à avoir faim et voudrions trouver des sandwichs à emporter. Mais nous ne voyons que des bars-restaurants aux menus formatés. Enfin nous avons l'idée de sortir de la vieille ville (par la porte opposée à celle où nous sommes rentrés). Là, nous trouvons tout de suite une petite boulangerie ainsi qu'une supérette et nous avons notre déjeuner.

Nous marchons cinq minutes encore vers l'est pour rejoindre une petite plage repérée sur la carte. Elle est couverte de monde et de soleil. La majeure partie de l'espace est occupée par la terrasse d'un bar-club-restaurant qui projette sa musique tonitruante. Il y a aussi une étendue de parasols et chaises longues (payants). Cependant, derrière le bar, on trouve un petit escalier au calme et à l'ombre où l'on s'installe pour déjeuner. Plus tard, on se fait une place sur un petit morceau de banc entre deux serviettes où nous pouvons à peu près convenablement nous occuper de nos affaires (nourrir le bébé) et aller nous baigner. Malgré les parasols, malgré la foule, la mer turquoise est très agréable et la vue sur la ville est magnifique. La petite joue dans les galets après la baignade et nous comatons à l'ombre, épuisés de chaleur.

Il est plus de 16h quand nous nous décidons à quitter la plage. Nous marchons doucement vers la vieille ville et rachetons plusieurs litres d'eau. C'est le moment d'aller visiter les rampars. C'est un incontournable de Dubrovnik : ils encerclent la vieille ville et offrent de magnifiques points de vue. Bien que l'après-midi soit assez avancée, le soleil est encore haut. La chaleur reste pénible, surtout lorsque nous devons gravir des escaliers sans ombre. Cependant, la ville fortifiée est splendide vue de hauts. Les toits de tuile rouges se découpent sur le ciel et la mer dans la lumière de la fin d'après-midi. À mi-chemin, nous faisons une pause glace sur les hauteurs puis reprenons notre place dans le défilé incessant des touristes.

Une fois la balade terminée, nous traînons nos corps fatigués jusqu'à l'arrêt de bus. Déposés au port, nous faisons des courses rapides et montons douloureusement les escaliers qui nous ramènent à l'appartement où nous nous étalons de fatigue tels des loques en sueur. Plus tard cependant, nous trouvons le courage de ressortir et de descendre festoyer dans un délicieux restaurant du port où nous fêtons notre premier jour de vacances.

Le lendemain, après cette journée fatiguante, le programme est moins chargé. Nous restons à l'appartement jusqu'à plus de 15h, ne sortant que lorsque la chaleur commence à décliner. Nous prenons la voiture vers le nord et rejoignons une magnifique plage de galets beaucoup moins peuplée que celle de la veille. Là, nous nous baignons dans l'eau claire dans le beau paysage et jouons aux cartes sous un parasol tandis que le soleil se couche derrière la montagne. Notre dernier dîner croate est pris dans un restaurant du bord de mer. Les îles dalmates se perdent à l'horizon dans la brume de la nuit. Demain, nous partons pour le Monténégro.

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Montréal mon amour

Je suis tombée amoureuse de Montréal lors de ma première visite en 2011. Je me souviens en particulier de ma première journée à arpenter seule la ville dans la fraîcheur de l'automne sous les arbres dorés. Depuis, de nombreuses fois je suis revenue, logeant ici ou là. À chaque fois, mon attachement s'est accru. J'y ai des amitiés, des souvenirs, des habitudes. J'y ai vécu sans y vivre, ne restant jamais plus de quelques semaines.

Cette fois-ci, je reviens pour trois semaines après deux ans d'absence. La ville m'a manqué et je la retrouve avec plaisir. Tout de suite, la mémoire des lieux me revient : les rues, les métros, l'organisation générale. La première fois, j'habitais un petit hôtel sur Sherbrooke, à 5 minutes du bâtiment de maths de l'UQAM qui se trouve derrière la place des Arts. Revenue quelques mois plus tard, je m'installais sur Côte des Neige près de l'UdM, autre université francophone. Le quartier me plut moins. Pour mon troisième voyage, je restais un mois entier et sous-louais l'appartement d'un ami sur le plateau, au niveau du Parc La Fontaine, le quartier que je préfère. Cette fois ci, je m'installe plus au nord sur Rosemont dans un magnifique AirBnb tenu par un couple de Français.

Le quartier est plus résidentiel, plus calme que le fameux plateau, son voisin du sud. Mais cependant, l'épidémie de petits restos, de boutiques vintages et d'épiceries bio le contamine petit à petit. Ma rue est très tranquille : jolies maisons de briques découpées en petits appartements auxquels on accède par des escaliers extérieurs et des balcons en fer forgé. Elle est plantée de hauts arbres et ses minuscules jardins sont fleuris de lilas. Bien qu'epuisée de décalage horaire et abrutie d'avion, je sors dîner dans la rue Beaubien et rejoins un petit parc quelques rues à l'est.

C'est peut-être exactement ici qu'à la fin des années 30, se sont rencontrés les parents de mon amie Marie. Sa mère, fille de bûcherons des Laurentides venue travailler à Montréal pour l'été en "se plaçant" dans une famille riche d'Outremont. Et son père, fils d'un professeur, issu du milieu plus instruit mais plus stricte de la petite classe moyenne francophone. Je ne sais pas où se trouvait l'échoppe qui servait de restaurant où ils se sont vus pour la première fois. Mais la maison des grands-parents de Marie était juste là, rue Molson, donnant sur le parc. Et son père a passé ses premières années à jouer dans le kiosque qui existe encore aujourd'hui. À l'époque, Rosemont était un quartier populaire mais cependant moins pauvre que le plateau ou Saint-Henri. Les ouvriers qui avaient réussi à se sortir de la misère venaient s'y installer. Je ne sais encore rien de tout cela tandis que je profite de la douceur du soir à la terrasse d'un café, avalant ma pizza en essayant de ne pas m'endormir...

Le lendemain, me voilà d'attaque pour me balader dans la ville. Comme lors de mon premier séjour, j'ai tout un dimanche à moi avant de commencer à travailler le lundi. Seulement, cette fois, la ville n'est plus une inconnue et je suis moins solitaire. Je rejoins mon ami Jake qui habite pour l'été un bel appartement donnant sur le parc Jeanne Mance et le Mont Royal. Anglophone originaire de Montréal, il est temporairement de retour dans sa ville natale et prend au moins autant de plaisir que moi à la parcourir. Nous profitons du soleil pour pique-niquer dans le parc puis parcourons les rues du plateau. Il m'emmène goûter un bagel cuit au four au coeur du quartier juif. C'est une spécialité : "Comment ça, tu n'as jamais mangé un bagel de Saint-Viateur ?". Le soir, je dîne avec un autre ami qui, lui aussi, vit sur le plateau: belles retrouvailles avec la ville pour ce premier jour.

La première semaine de conférence se déroule à l'UQAM, juste derrière la place des Arts. Après m'avoir offert une belle journée, Montréal est revenu à la pluie et au froid assez inhabituel pour cette fin mai. Le printemps a été très mauvais me dit-on : de la pluie qui a débordé partout en graves inondations. Les habitants en ont marre, après les très longs mois d'hiver, ils veulent l'été. Cependant, entre les gouttes, je profite des rayons du soleil pour jouer sur les balançoires musicales installées devant l'université. Lorsque je sors à midi, je déjeune dans l'étrange friperie du boulevard Saint-Laurent qui fait aussi restaurant. Lors de mon premier voyage en 2011, j'y avais loué un exubérant costume d'Halloween dont je me souviens encore aujourd'hui.

La semaine passe, le week-end revient avec un temps un peu meilleur. Je passe le samedi avec mon amie Marie. Nous déjeunons dans un restaurant assez simple mais qui sert du pain doré et des oeufs bacon. Puis, l'après-midi, nous nous promenons et faisons quelques courses au marché Jean Talon. Elle me dit qu'autrefois, ce n'était que des petits producteurs locaux et des produits assez simples mais sa popularité grandissante auprès des touristes et nouveaux habitants français le change petit à petit. Le dimanche, je descends à pied du nord de Rosemont où je loge jusqu'au plateau. Le boulevard Saint-Laurent traverse la Petite Italie où l'on trouve les cafés, les restaurants, les épiceries et aussi, sans doute, la mafia. Le dimanche soir, je chante du Jazz à "l'open mic" du dièse 11 que j'ai découvert lors de mon dernier voyage il y a deux ans.

Deuxième semaine, cette fois je suis à l'UdM : au nord, de l'autre côté de la montagne. Depuis la plateforme légèrement surélevée de l'université, on a une très belle vue sur le nord de la ville qui se perd dans les nuages. Très vite, je retrouve mes habitudes. À midi, on descend la colline pour rejoindre Côte des Neige, et, systématiquement, je choisis de déjeuner à "Première Moisson" qui fournit aussi les croissants des pauses cafés. La semaine commence pluvieuse et froide puis le beau temps arrive brusquement et le week-end s'annonce magnifique.

Samedi, Jake propose de me faire visiter le quartier de Saint-Henri au sud ouest de la ville. Autrefois, ce fut l'un des plus pauvres de Montréal. Il abritait les tanneries puis les usines et les populations ouvrières qui y travaillaient. Il est le lieu du roman Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy que je n'ai pas (encore) lu qui décrit le quartier dans les années 40. Autre quartier ouvrier, le plateau, avait entamé sa transformation dès les années 80, devenant rapidement le nouveau coeur à la mode de la ville. Pour Saint-Henri, la transformation est beaucoup plus récente, c'est le "nouveau plateau" me dit Jake. Peut-être est-ce la proximité de l'université Columbia ou juste la mutation économique de la ville. Le marché Atwater a été réhabilité. Les usines ont fermé et ont été transformées en appartements à la mode. Alors que nous pique-niquons sur les rives du canal de Lachine, les familles se baladent à vélo sur les berges ensoleillées.

Nous longeons le canal vers l'ouest puis tournons tranquillement vers le nord. Nous traversons la "Petite Bourgogne" qui a historiquement accueilli la population noire de la ville, descendant des esclaves américains et travaillant dans les chemins de fer. La gentrification suit son cours et les nouveaux habitants ont la peau beaucoup plus claire. Nous retournons vers le centre-ville. La géographie de Montréal est assez étrange. La ville est découpée selon un quadrillage à l'américaine : grandes rues perpendiculaires orientées soit "est-ouest" ou "nord-sud". Cependant, l'orientation de l'île s'adaptant mal à cette logique implacable, le "nord" Montréalais des rues est en réalité le nord ouest selon les conventions classiques. Cela trouble beaucoup ceux qui ont un vrai bon sens de l'orientation et des points cardinaux. Ce n'est pas mon cas, et je considère facilement que le "nord" est là ou la ville l'a mit. "J'habite plus au nord. - Tu veux dire du côté du parc olympique ? - Non, je veux dire du côté de Jean Talon, je parlais du nord Montréalais…". Par ailleurs, il arrive que le quadrillage lui même se distende lorsque la géographie de l'île refuse de se plier à la géométrie des rues. Ainsi Jake me fait remarquer que bien que nous ayons l'impression de suivre une rue parallèle à Sainte-Catherine, nous marchons en réalité en arc de cercle et parcourons une distance beaucoup plus longue. Nous atteignons cependant le centre-ville et nous enfuyons rapidement en métro vers le plateau : c'est le week-end du "grand prix de Montréal" et nous n'avons aucun goût pour les voitures bruyantes et la foule qui les accompagne.

Depuis l'appartement de Jake en face du parc, il est possible de sortir par la fenêtre sur un petit balcon et, de là, de rejoindre le toit de l'immeuble par une échelle métallique. On a alors une très belle vue sur la ville. La montagne, comme on appelle le Mont Royal, s'élève juste devant nous à l'ouest surmontée de sa croix illuminée. De l'autre côté, on aperçoit le parc olympique et la biosphère plus au sud puis le centre ville dont les fenêtres des gratte-ciel reflètent les derniers rayons du jour. Au "nord", entre les toits et les nuages, le soleil se couche…

Le dimanche, c'est Marie qui me fait parcourir la ville. Elle m'emmène au nord, dans le quartier Ahunstic dont le nom vient d'un compagnon du missionnaire Nicolas Viel qui s'est noyé avec lui dans la Rivière des Prairies en 1625. Lorsque nous nous promenons dans le parc de la Visitation, la rivière m'a l'air pourtant bien tranquille. Ses rives boisées me rappellent les bords de Marne. Autour du parc, de très belles maisons entourées de jardins. C'est dans l'une d'elles que sont venus s'installer les grand-parents de Marie après avoir quitté Rosemont, s'éloignant encore un peu plus de la misère du plateau et rejoignant les notables de la ville. Cependant, il parait que leur maison rue Molson était magnifique et que sa grand-mère la regretta toujours. Marie me dépose chez moi en fin d'après-midi et je ressors en soirée pour aller, à nouveau, chanter au Dièse 11.

C'était mon dernier week-end, déjà la fin du séjour approche. Je sors tous les soirs cette dernière semaine profitant de l'effervescence du retour de l'été. Ici, l'hiver est si long à s'en aller que dès que les beaux jours reviennent, toute la ville semble exploser de gaieté. Il y a des festivals partout, de la musique partout. On ferme les rues : boutiques et restaurants s'étalent en terrasses. Jeudi soir, dernière soirée, je vais voir un petit spectacle du festival Fringe puis profite encore un peu du Boulevard Saint-Laurent et du toit terrasse de l'appartement de Jake. Le vendredi est le jour de mon départ. Marie voulait me montrer sa ville natale dans les Laurentides au nord de Montréal mais la pluie nous décourage : ce sera pour mon prochain séjour. Nous restons en ville, déjeunons au Jurançon, joli petit resto tenu par un Français où Marie a ses habitudes (Mais Marie connaît tout le monde à Montréal : Justin Trudeau l'appelle par son prénom, elle a rencontré son père Pierre Elliott Trudeau, elle a été à une "party" dans la maison de Léonard Cohen et a eu chez elle la guitariste de Prince). C'est l'anniversaire du patron et il est de très bonne humeur car il offre un verre et trinque avec tous les clients ! C'est sur cette touche joyeuse que je quitte cette ville aimée. Je reviendrai à coup sûr, voilà 6 ans que je connais Montréal et je m'y attache chaque fois un peu plus...

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Jérusalem

J'arrive à Jérusalem de nuit, en taxi depuis l'aéroport de Tel Aviv. J'ai été troublée car la route que nous avons prise passe en plein territoire palestinien. Elle est entourée de hautes clôtures et, sur les collines, je repère les fameuses colonies. C'est une façon assez brusque de plonger dans ce pays et ses conflits. Cependant, les jours qui suivent me tiennent éloignées de ces considérations. Je loge sur le campus de l'université avec un groupe joyeusement international. Nous descendons dans le centre-ville le soir. Nous mangeons des falafels avec de l'hummus, parcourons les rues piétonnes et les allées colorées  du marché Yehuda. L'ambiance jeune et animée rappelle celle de n'importe quelle ville du sud de l'Europe. Seuls les groupes d'hommes portant la kippa ou parfois le costume traditionnel  (avec le grand chapeau noir et les favoris tressés) me rappellent que je suis bien en Israël.

Ma conférence se termine le jeudi soir et je déménage le vendredi pour loger dans le centre à l'Abraham hostel, repère gentiment anarchique de voyageurs en tout genre. Je dépose mon bagage et pars à la découverte de la vieille ville avec quelques collègues.

Je descends la longue rue Jaffa, me protégeant du vent glacé de novembre avec mon gilet, les yeux plissés par l'air sec et le soleil perçant. Bientôt apparaissent devant moi les ramparts centenaires construits par le sultan Suleyman après un mauvais rêve où il était attaqué par des lions. Nous passons la porte de Jaffa et pénétrons dans la ville. 

Ma première impression est assez mitigée. Nous suivons une rue marchande étroite et bondée, dans laquelle il est impossible de s'arrêter. Les boutiquiers se font aussi insistants que dans les villes du Magreb mais je ne retrouve pas l'insouciante bonne humeur des Médinas. Derrière les sourires, on sent la tension et même parfois l'hostilité. La présence de gardes armés n'est pas vraiment rassurante.

Comme toute vieille ville, ses rues paraissent un labyrinthe aux néophytes. Nous cherchions le mur des lamentations mais allons à présent dans la direction opposée vers un lieu incertain. Alors que nous sommes toujours pris dans l'animation du marché, je remarque brusquement que nous sommes passés dans le quartier musulmans. D'un seul coup, on ne voit plus de juifs en kippa mais des femmes avec leurs foulards. Des inscriptions apparaissent en arabe et je vois même des objets aux couleurs de la Palestine dans les boutiques.

Je comprendrai plus tard que cette rue centrale est en réalité une frontière, ce qui explique d'ailleurs la tension qu'on y ressent. Le début de la rue est officiellement dans le quartier chrétien mais c'est aussi un passage pour rejoindre le quartier juif et le mur des lamentation. L'endroit où nous sommes à présent est entre le quartier chrétien et le quartier musulman : nous sommes plus loin du quartier juif et la population est en majorité musulmane. 

Nous arrivons à la porte de Damas. De là, nous tournons à droite et nous promenons au hasard dans de petites rues. Nous ne sommes plus sur le marché et c'est beaucoup plus calme. Nous pouvons enfin profiter pleinement de la beauté de la ville, de ses maisons en pierre de taille, de ses rues blanches qui se déploient en une infinité de passages et d'escaliers. Le sol est lui aussi en pierre, lissé par les siècles. En dehors des chats sauvages, nous croisons peu de monde. Par ailleurs, la tension s'est amoindrie. Dans les regards, je vois plus de curiosité que d'hostilité.

Nous avons atteint la porte d'Herod et nous dirigeons maintenant vers l'esplanade des mosquées. Quand d'un seul coup arrive vers nous une immense foule à majorité masculine. Nous sommes vendredi et la prière vient de se terminer. Le flot est continue et nous remontons doucement vers la source. Toute l'étrangeté de ce lieu me semble à son paroxysme quand, on au milieu des musulmans, nous voyons un groupe de touristes chinois qui suivent le courant. Nous sommes au croisement de la rue du roi Faisal au bout de laquelle on trouve une des entrées de l'esplanade. Il est impossible de s'y rendre pour l'instant vue la foule qui en sort. Nous nous dirigeons vers où nous pouvons et nous retrouvons devant la porte du Lion sous laquelle la foule se compresse. Nous nous échappons par une contre-allée et rejoignons le chemin en haut des rampars. De là haut, nous avons une belle vue sur l'Est de la ville : le cimetière musulmans Yeusefya juste au pied des rampars et en face, le mont des Oliviers avec son cimetière juif et ses églises chrétiennes. Nous attendons calmement que le flux des fidèles se soit tari pour redescendre.

Nous découvrons assez rapidement qu'il n'est pas possible de visiter l'esplanade. Elle est fermée aux non musulmans le vendredi et le samedi. Par ailleurs, le seul passage autorisé est la passerelle en bois à côté du mur des lamentations et les horaires d'ouverture sont limités (j'aurais tous ces détails plus tard, les gardes jordaniens ne sont pas très bavards).

Alors que nous repartons vers l'ouest, nous  enfonçant dans la ville avec l'espoir de trouver le mur, je remarque des bâtiments chrétiens. Nous sommes toujours dans le quartier musulman mais nous avons rejoint le chemin marquant la passion du Christ. Toutes les étapes des souffrances de Jesus sont marquées par une église ou une chapelle jusqu'au Saint Sépulcre où il est censé avoir été crucifié et enterré. Le chemin est suivi avec piété par les fidèles et nous croisons des groupes de pèlerins venus de différents pays. Nous-mêmes ne suivons pas la passion jusqu'au bout : nous irons voir le Saint Sépulcre demain. Pour l'instant, nous nous arrêtons dans un café pour déjeuner  (luxe que n'eut pas Jesus). 

Quand nous repartons, nous trouvons enfin l'entrée pour le mur des lamentations. Il faut passer un petit contrôle de sécurité et nous voilà sur la grande place. C'est un mélange de tourisme de masse et de ferveur religieuse. L'accès au mur est découpé en 2 zones : pour les hommes  (un peu plus grand) et pour les femmes. Les gens s'approchent, prient en touchant le mur et y laissent parfois un des fameux voeux écrits sur de petits papiers roulés. Je reste en dehors de la zone, observant de loin. Ce lieu n'a aucune signification pour moi mais visiblement beaucoup pour eux. Je n'ai pas envie de pousser le voyeurisme jusqu'à me mettre sous leur nez. Les hommes portent presque tous le costume traditionnel ou, au minimum, la kippa. Les femmes ont souvent les cheveux enroulés dans une sorte de coiffe en tissu. Des deux côtés, on arrange des chaises pour la prière du Shabbath de ce soir. Le mur  est tout ce qui reste de l'enceinte construite par Herode autour du temple sacré du judaïsme. En lieu et place du fameux temple : l'esplanade des mosquées. Le mur est le symbole des "lamentations" des juifs pleurant leur temple perdu.

De là, nous rejoignons le quartier juif que nous n'avons pas encore visité. En dehors de quelques ruines préservées, les habitations ont l'air assez récentes. Et pour cause, le quartier a été entièrement détruit lors de la guerre de 1948 et reconstruit uniquement dans les années 70. Les architectes ont cependant préservé l'esprit de la vieille ville et les rues fleuries de bougainvilliers dégagent une atmosphère paisible. Nous approchons du début du Shabbath. Les boutiques ont déjà fermé et le calme de la nuit tombe sur la ville. Un peu partout, on voit se former des cercles de prière : les groupes s'assoient par terre dans une attitude méditative.

Nous sortons de la ville par la porte de Zion pour visiter l'abbaye de la Dormition, le tombeau de David et le lieu supposé de la "Cène" de Jesus. Quand nous retournons à la vieille ville pour rejoindre la porte de Jaffa, il fait déjà nuit. Nous remontons vers notre auberge. Il n'est pas encore 18h mais on pourrait croire qu'il est 1h du matin tant la ville est calme. Le Shabbath a commencé. Il n'y a presque plus de voitures, plus de bus ni de trams. Les boutiques, les bars et les restaurants sont fermés. J'ai du mal à reconnaître le centre-ville animé de ces derniers soirs. La ville, pieuse, s'est endormie.

À l'Abraham Hostel, nous retrouvons les vivants dans une chaleureuse atmosphère. L'auberge organise ce soir un repas communautaire de Shabbath pour les résidents. Le repas lui même est concocté par des volontaires et nous le  dégustons dans la pièce commune installés sur des grandes tables. Les plats ne sont pas très traditionnels, ils reflètent plutôt le mélange culturel de l'Abraham Hostel qui affiche fièrement sur ses murs "Abraham was the first backpacker!". Un employé nous fait un petit discours sur le Shabbath et nous lit les prières. Lui même n'a pas l'air très religieux, il insiste sur la portée symbolique du Shabbath en Israël au delà de la croyance : un moment de repos, pour retrouver sa famille et partager un repas.

Cette première journée de visite m'a épuisée et je ne suis pas mécontente de retrouver mon lit. Le lendemain, je suis prête pour à nouveau affronter le labyrinthe de la vieille ville. J'ai décidé de rejoindre une visite guidée gratuite qui part à 11h de la porte de Jaffa. L'organisation générale de la ville est un peu plus claire pour moi mais je me rends compte de l'étendue de mon ignorance. Je n'ai aucune idée de l'histoire de la ville, ni de quand datent les bâtiments que je vois.

La visite commence par une rapide chronologie de la ville. On s'y perd facilement entre Juifs, Grecs, Romains, Perses, Musulmans, Chrétiens... Je retiens surtout que la ville a été sous domination Ottomane pendant 400 ans jusqu'au protectorat Britannique au début du XXème siècle. La plupart des monuments que l'on peut voir aujourd'hui datent de cette longue période. Les édifices chrétiens ont souvent été bâtis à l'époque des croisades.

Nous commençons la visite par le petit quartier Armenien, juste au sud de la porte de Jaffa. L'Arménie, premier état chrétien, a très vite acheté des terrains dans Jérusalem  à une époque où la chrétienté n'était pas encore très répandue, où l'islam n'existait pas et où Jérusalem était moins disputée qu'aujourd'hui. A travers les époques, ils ont su conserver leur bien malgré les massacres assez fréquents et il existe toujours donc une petite communauté arménienne vivant dans la vieille ville.

Nous passons ensuite au quartier juif, c'est là que j'apprends qu'il a été détruit en 1948. On y trouve aussi les ruines de la ville romaine, enfouie sous la ville actuelle. Nous nous arrêtons sur une petite place pour admirer en contre-bas le mur des lamentations et le Dôme du Rocher qui apparaît derrière, tout doré. Le guide est légèrement partisan quand il nous décrit la situation actuelle. Il nous fait remarquer que le mur est ouvert à tous tandis que l'accès à  l'esplanade des mosquées est limitée pour les non-musulmans (horaires limités, 1 seul passage ouvert, livres saints autre que le Coran interdits). En réalité, les musulmans cherchent à empêcher les juifs de venir prier sur l'esplanade. Le guide oublie de préciser qu'Israel a plusieurs fois interdit l'accès de l'esplanade aux musulmans eux-mêmes (suite à des attentats) et  que les juif intégristes ne sont pas en reste quand il s'agit de faire des esclandres : ils souhaitent en réalité construire un nouveau temple au milieu de l'esplanade, voire détruire la mosquée Al-Aqsa. Il faut dire qu'il y a là un conflit religieux inextricable. Les juifs pleurent depuis des millénaires la perte du Second Temple détruit par les romains, construit par Herode pour remplacer le Premier Temple de Salomon. C'est leur lieu saint le plus important et il se trouve sur l'esplanade des mosquées. Car voilà : tandis qu'il dormait tranquillement à La Mecque, le prophète Mahomet fut réveillé par l'ange Gabriel avant de s'envoler sur son cheval magique vers Jérusalem  (je ne fais que rapporter les faits...). Là il arrive pile sur l'emplacement de l'ancien temple d'où il s'envole vers les cieux pour rencontrer des tas de gens importants comme Jesus, Moïse et même Dieu avec qui il négocia le nombre de prières journalières. Et donc voilà : l'esplanade des mosquées devient le 3eme lieu saint de l'islam tout en étant le premier lieu saint du judaïsme... Vue les relations tendues entre les deux communautés, on imagine mal la mise en place d'un temple oecuménique... Heureusement Jesus a eu le bon goût de se faire crucifier à quelques centaines de mètres de là ce qui fait que le premier lieu saint du chistrianisme n'est pas exactement au même endroit. Ainsi, après quelques guerres sanglantes  (les croisades), les chrétiens ont pu négocier le droit de venir en pèlerinage et on a laissé leur église tranquille.

Justement le Saint-Sépulcre constitue la suite de la visite guidée. D'abord, on traverse un petit bout du quartier musulman où le guide nous raconte les piliers de l'islam. On apprend aussi que des  groupes de juifs fondamentalistes lèvent des fonds pour racheter à prix démentiel des habitations musulmanes dans le quartier. Leur but : repeupler le quartier de juifs et ainsi reprendre Jérusalem... Autant dire que la réaction musulmane devant ces tentatives n'est pas complètement pacifique.

Nous traversons une rue et nous voilà dans le quartier chrétien : en réalité un quartier mixte. L'empire ottoman, en manque d'argent, vendit quelques terrains aux églises mais de nombreux musulmans y vivent encore. Devant le Saint-Sépulcre, les échoppes vendent croix, chapelets, et eaux bénites en bouteille. L'église elle-même est envahie à la fois par des groupes de touristes et des groupes de pèlerins : le guide nous conseille de revenir la visiter en soirée. Les chrétiens n'ont pas le temps de se disputer avec les juifs et les musulmans car ils dépensent toute leur énergie à se disputer entre eux. Le lieu saint est géré à la fois par l'Église catholique et plusieurs églises orthodoxes ce qui crée des conflits réguliers (il y a même des bagarres de popes et curés). Certaines parties de l'église appartenant aux zones communes sont laissées en décrépitude par ce qu'on pourrait appeler un blocage administratif. Les ottomans servirent parfois d'arbitres neutres : ainsi ce sont encore aujourd'hui des familles musulmanes qui sont en charge des clés de l'église...

La visite se termine et je rejoins mes collègues qui m'attendent à la porte de Jaffa. J'ai partagé la visite avec Daniel, rencontré le matin à l'auberge : un ingénieur franco-ivoirien issu de la tribu de Dan et qui a décidé de retrouver ses racines juives oubliées (sa famille est  évangéliste). Il prépare son "Alya", c'est-à-dire son retour en terre sainte et part demain pour un kibboutz. Nous partons tous déjeuner sur la terrasse de l'auspice Autrichien en plein coeur de la vieille ville. Il fait moins froid qu'hier et, à l'abri du vent, il est agréable de s'asseoir au soleil. Plus tard, nous montons sur le toit et admirons la vue splendide sur la ville.

Daniel s'en va prier au mur tandis que je suis mes collègues qui veulent visiter le Mont des Oliviers. Pour cela, il nous faut à nouveau traverser le quartier musulman et rejoindre la porte du Lion d'où nous sortons de la vieille ville et descendons la colline pour nous trouver au pied du mont. Là se trouve Gethsemane où Jesus pria avant d'être arrêté. L'église qui marque l'endroit date du XIXème siècle et n'a pas d'intérêt particulier autre que symbolique. La vraie beauté du mont se trouve dans son ascension. Nous traversons le cimetière juif qui le recouvre. Les pierres blanches prennent des couleurs dorées sous le soleil couchant créant un décor étrange, paisible et minéral. Au sommet du mont, une plate forme nous permet d'admirer la vue sur la vieille ville. L'esplanade des mosquées se dévoile enfin. Nous restons jusqu'au coucher du soleil puis, refusant les taxis, redescendons le mont avant de remonter vers la porte du Lion.

Dernière étape de la journée : la visite du Saint-Sépulcre. Bien que la nuit soit tombée, la foule est encore bien présente. L'intérieur de l'église est assez chaotique comme l'avait annoncé le guide. Nous montons vers ce qui aurait été le Golgotha, aujourd'hui une chapelle dans le style orthodoxe le plus coloré. J'ai du mal à comprendre la structure globale du lieu : ça monte, ça descend, il y a des pièces un peu partout. Plusieurs points semblent attirer la ferveur chrétienne. Le plus important est celui marquant le lieu supposé de la tombe de Jésus, retrouvé par Hélène mère de l'empereur Constantin. Y trouvant un temple païen, elle le fit détruire pour construire une église. Celle-ci fut détruite par les Perses : celle que nous visitons aujourd'hui a été construite lors des croisades. La supposée tombe de Jesus est marqué par un immense monument  (en travaux). Les pèlerins forment une longue  file tout autour, patientant pour s'enfoncer vers l'intérieur, dans la fameuse grotte (ou ce qu'il en reste après 2 millénaires de dévotion) où aurait été enterré Jésus avant de ressusciter comme chacun sait. Nous n'avons pas la patience de faire la queue (1h ? 2h ? Ça n'avance pas très vite en tout cas) et repartirons donc sans descendre au Saint Sépulcre.

Je quitte définitivement la vieille ville et remonte vers l'auberge. La nuit est tombée et le Shabbath est donc terminé. Les rues ont  repris leur animation, le tramway, les voitures et les bus roulent de nouveau. C'est là que s'achève mon voyage. J'aurais juste le temps de faire un tour au marché Yehuda le dimanche matin pour faire des réserves de dates, figues, et pâtisseries. Puis ce sera l'heure de monter dans le Sheirut (taxi collectif) qui me ramènera à l'aéroport de Tel Aviv. Je reviendrai peut-être un jour visiter le reste de ce territoire source de passion, de  ferveur religieuse, de guerres, et qui cristallise les conflits mondiaux depuis tant de temps...

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