Mardi matin, Dilijan est recouvert par les nuages ce qui donne à ses montagnes un air majestueux. Nous prenons un copieux petit-déjeuner à l'auberge, légèrement tourmentés par les guêpes. Nous avons pris la chambre pour deux nuits et avons prévu aujourd'hui d'aller voir le lac Sevan à une vingtaine de kilomètres de la ville. Nous voilà donc sur la route avec maillots et crème solaire. Nous roulons un moment dans la montagne brumeuse, passant quelques tunnels pas toujours éclairés. Et puis, assez soudainement, le paysage change et devient presque désertique. Ce sont les abords du lac.

C'est le genre de lac qui rappelle la mer : on n'en voit pas toujours l'autre rive. Notre premier arrêt est la péninsule Sevanavank qui fut autrefois une île. En haut de cette petite colline, se perche un monastère du IXème siècle dont il reste principalement deux églises. De nombreux touristes, dont beaucoup d'Arméniens, se pressent dans l'escalier qui grimpe vers le sommet. La haut, il faut parfois patienter et se serrer pour pouvoir rentrer dans les églises (ce qui, d'ailleurs, n'est pas très intéressant car elles sont plus jolies de l'extérieur). Ce qui fait tout le charme du lieu, c'est le dessin de ces magnifiques petits édifices sur le lac, vision hautement romantique. Le ciel s'est dégagé et l'on aperçoit les montagnes brumeuses au loin. Nous profitons de la vue dans le soleil et le vent avant de redescendre.

Nous reprenons la route, espérant trouver une plage. La ville de Sevan est séparée de la rive par une sorte d'autoroute sur laquelle nous nous trouvons. En fait, c'est à peine si nous voyons le lac. Puis enfin, on quitte la voie rapide pour rejoindre la petite route de la côte. Nous sommes maintenant assez loin de la ville et les abords du lacs semblent presque déserts. Le paysage est rouge et caillouteux. Près de l'eau, on trouve de petites cabanes en taule, en fait ce sont des container transformés en habitations éphémères le temps de l'été. De nombreuses familles campent là, pêchant et se baignant. Nous roulons une vingtaine de kilomètres dans cet étrange désert. Nous visitons un autre monastère, moins touristique que le premier mais tout aussi joli puis atteignons un petit village. Le guide parlait d'une plage que nous ne trouvons pas (le village ne semble même pas au bord de l'eau). Nous visitons un vieux cimetière dans lequel se dressent de grandes pierres sculptées de croix et de dessins divers : trésors arméniens datant parfois de plusieurs siècles. Une vielle dame vend des bonnets en laine. Nous trouvant seuls dans le cimetière, elle s'autoproclame notre guide. Elle nous emmène voir les pierres les plus fameuses, nous expliquant ce que représentent les gravures. Elle ne parle pas vraiment anglais mais ponctue son discours d'un minimum de mots compréhensibles et l'illustre à grand renfort de mimes et de gestes. C'est ainsi qu'on comprend par exemple qu'une certaine pierre décrit une famille entière tuée par les Mongols. Tandis que nous terminons le tour, un autre groupe de touristes apparait. Je sens que la vieille dame leur jette des regards furtifs. Mais elle n'aura pas perdu son temps avec nous car Seb se décide à lui acheter un bonnet. Il faut dire qu'elle s'est donnée beaucoup de mal pour nous et que sa passion pour le cimetière semblait tout à fait sincère. De façon générale, ce genre de choses nous arrive peu. L'Arménie est un pays relativement pauvre mais on ne s'y sent sent jamais harcelés. Il y a peu de mendicité et on s'y promène très tranquille.

Nous repartons vers Sevan. Les rives désertes du lac peuvent être tentantes mais nous n'avons rien mangé. Et puis, on n'aurait l'impression de s'immiscer dans la tranquillité de toutes les petites familles installées là.  Nous nous trompons de route et nous perdons un peu dans la ville de Sevan,  tout à fait affreuse. Enfin, de retour sur l'autoroute, nous sommes maintenant du bon côté. C'est-à-dire que le lac est simplement caché par quelques arbres. Toutes les dizaines de mètres, il y a des panneaux et des petites sorties annonçant des plages mirobolantes. Évidemment, quand on roulait dans l'autre sens, on ne voyait rien de tout ça, et d'ailleurs, les sorties étaient inaccessibles. Nous tournons donc et découvrons tout un petit univers. Les bords du lac sont animés d'une agitation estivale. Les installations touristiques se succèdent : location de "container bungallow", petits hôtels, bars et restaurants. Sous une tonnelle au milieu des arbres, nous commandons du poulet grillé à un bar. Le barbecue semble être partagé par tous : restaurants mais aussi familles venues avec leur propre nourriture. Après le repas, nous nous rendons sur la plage. Quelques chaises longues en bois sur un sable gris, des enfants qui jouent et l'eau houleuse du lac. Il ne fait pas très chaud, il y a beaucoup de vent et peu de soleil. Cependant, je remarque que si le froid n'empêche pas tout un tas de gros bonshommes de se mettre torse nu en short de bain, les jeunes filles restent en grande majorité habillées. Même pour se baigner, elles portent souvent un short et un débardeur. En fait, je ne verrai qu'une seule femme en maillot de bain, elle semble être d'une classe sociale plus élevée.  Mais par ailleurs, je sens bien que je peux me mettre moi en maillot sans que cela paraisse bizarre. Je suis tout de même loin de l'impression laissée par certaines plages du Maghreb où le moindre morceau de chair attirait les regards. Il faut dire aussi qu'avec ma peau claire et mes cheveux blonds, il y a peu de chances qu'on me confonde avec une arménienne. Enfin, nous nous décidons à entrer dans l'eau. Elle n'est pas trop froide comparée à l'air et une fois dedans, on y est tout à fait bien. Je nage avec plaisir en prenant garde à ne pas trop m'éloigner de la rive pour ne pas croiser les Jet Skis furieux.

Et voilà comment nous terminons cette petite excursion au lac. A peine sortis de l'eau, nous nous rhabillons et prenons la route du retour. Plus nous nous approchons de Dilijan, plus le ciel se couvre. En fait, dans la montagne, il a plu toute la journée. Les jeunes femmes de l'hôtel sont désolées car elles n'ont pas pu étendre le linge que nous avons mis à laver ce matin. Que peut-on fait contre la fatalité ? On l'étendra  dans la voiture et il séchera comme il pourra. Dilijan est au milieu des montagnes. C'est une ville assez touristique car très bien placée. Il y a un vieux centre à l'architecture préservée. Il est très joli, mais surtout très petit. Il me rappelle un peu un écomusée. En dehors de ça, la ville n'est pas très jolie, à part quelques petites maisons comme notre auberge, il y a surtout de gros bâtiments soviétiques. Par ailleurs, elle est plutôt morne. Je ne sais pas si c'est le mauvais temps mais les rues sont désertes. Nous mangeons dans un restaurant du vieux centre où l'on nous sert de délicieux ragouts. Seb ne se sent pas très bien ce soir et mange peu. Nous rentrons rapidement et nous couchons tôt. Dehors, nous entendons tonner l'orage...

Le lendemain matin, Seb est toujours mal en point. Il ne prend presque rien au petit déjeuner, pourtant très bon. Nous décidons quand même de quitter la ville comme prévu. Nous roulons longtemps dans les montagnes puis atteignons une longue plaine où nous retrouvons la chaleur de l'été. Nous arrivons Gyumri en début d'après-midi. C'est une ville assez grande et plutôt agréable, nous logeons dans un grand hôtel du centre ville. Avec ses colonnes en marbre, son large hall et son aspect légèrement démodé, on dirait un ancien établissement soviétique. D'ailleurs, de façon générale, on se croirait dans une ville russe. Et pour cause, la ville a été développée par les Russes au XIXème siècle. Son centre est fait d'imposants bâtiments rappelant cette époque autour de très larges places. Sur la terrasse d'un restaurant où le menu n'est traduit qu'en russe (partout en Arménie, on nous parle russe), je commande un plat au hasard. Pas de chance, ce sont des harengs. Je suis obligée de voler des morceau de poulet à Seb. Sur notre droite, se trouve l'église Amenaprkich en grande partie détruite lors du tremblement de terre de 1988. Depuis, une reconstruction à l'identique est à l'oeuvre, pas encore terminée mais bien avancée. La ville a beaucoup souffert de ce tremblement de terre qui tua 50000 personnes et en laissa de nombreux autres sans abris. Aujourd'hui, on en voit presque plus rien : tout a été reconstruit. Il est difficile de dire si les trottoirs défoncés et les maisons en mauvais états sont des restes de la catastrophe ou simplement dû à l'état général des rues et des bâtiments en Arménie... Nous ne nous promenons que peu car Seb n'est pas encore remis et est fatigué du trajet. Nous passons donc la majeure partie de l'après-midi à nous reposer. Nous ressortons le soir pour manger, la ville est agréablement animée dans la douceur du soir. C'est notre dernière nuit en Arménie...