La semaine dernière, j'étais en conférence à Edimbourgh, belle occasion pour une rencontre furtive avec une jolie ville et premiers pas en Ecosse pour moi...

Edimbourgh, c'est à deux heures d'avion de Paris ou à 12h de train. Et oui, quand mon vol a été annulé dimanche dernier à cause de la neige, c'est la solution que j'ai choisi plutôt que d'annuler le déplacement. Lundi, je suis donc parti à 10h de chez moi pour prendre l'Eurostar de 12h15 à gare du nord. J'ai eu de la chance car il n'a pas fait partie des nombreux trains annulés eux aussi. Le hall d'attente était bondé car les trains précédents avaient du retard. Le mien est parti presque à l'heure et, chose étonnante, n'était pas plein du tout. Nous sommes tout de même arrivés à Londres 1h30 après l'heure prévue, de quoi attraper presque tranquillement mon prochain train, celui qui m’amène à Edimbourgh. Assise dans le wagon vide, les jambes étendues sur la banquette, le dos appuyé sur la fenêtre, je regarde la lande anglaise qui défile en buvant un thé au lait et en lisant Henry James. De Paris à Edimbourgh, près de 10h de train et de bout en bout, des plaines enneigées.

Enfin me voilà arrivée. Il fait nuit, il fait froid, il tombe de la neige fondue et je suis fatiguée. Comme je n'ai pas mangé, j'entre dans le premier truc que je trouve. C'est une brasserie chic où l'on me prend mon manteau. C'est un peu cher, mais abordable et j'ai faim et surtout pas envie de ressortir. Un peu plus tard, je dois tout même affronter la neige et prendre le bus pour me rendre à l'hôtel. Je tiens à signaler le geste de pur sympathie du chauffeur qui alors que je n'ai pas la monnaie et fais tomber des pièces partout, me sourit gentiment puis demande au prochain passager de mettre moins d'argent dans "la petite boite du bus" pour me donner à moi la monnaie que je n'ai pas eue...  (Il faut faire l'appoint dans les bus en Grande-Bretagne comme en Irlande). C'est lui qui m'indique ma station et le chemin de mon hôtel.

Je loge au sein même de l'université dans un hôtel prévu pour les universitaires de passage. On est un peu éloigné du centre et ici, il tombe de la vraie neige qui a recouvert les pelouses et donne à ce joli endroit un air tout à fait pittoresque. C'est là que je passe ma semaine. La conférence n'a pas lieu à l'université, il faut marcher environ une demie heure vers le centre ville. Mais je longe toujours une même et unique rue et ne vois rien de la ville,  c’est à peine si j’aperçois la lumière du jour. Le temps s'est radouci et la neige s'est transformé en pluie. Le matin, je déguste le petit déjeuner anglo-saxon de l'hôtel puis je marche dans la bruine. C'est le seul moment où il fait jour, il n'y a pas de fenêtre dans la salle de travail et lorsque l'on sort à 19h, il fait nuit depuis longtemps.  La seule vue que j'ai le temps d'apprécier est celle du joli petit mont recouvert de neige derrière l'université. Le soir, nous trouvons des pubs chaleureux où l'on goûte le fameux haggis et des "meat pies" réconfortantes en cette froide saison.

La semaine, déjà, se termine. Vendredi soir, c'est la "Burns night" à Edimbourgh, du nom du poète natif de la ville.  Partout, les pubs organisent des soirées spéciales et sont pleins. Nous avons peur de devoir nous rabattre sur une enseigne italienne ou asiatique mais non, un petit restaurant n'est pas plein et nous sert avec plaisir les mêmes mets traditionnels que nous avons déjà eu plaisir de goûter. Au passage, j'ai pu un peu lever les yeux sur la vieille ville avec ses pierres sombres et ses tourelles médiévales. La soirée continue, la conférence est terminé et nous sommes plusieurs à ne pas vouloir rentrer tout de suite à l'hôtel. Nous entrons dans un pub choisi au hasard au décor éclectique de vieilles publicités, de drapeaux étrangers, de bouteilles de whisky et de photos de joyeux clients trinquant haut et fort. Dans un coin, trois musiciens jouent des airs écossais et font grésiller leurs belles voix veloutées. Nous nous enfonçons dans les banquettes et attendons. La jeune serveuse nous envoie le "whisky guy", un homme aux cheveux gris et à l'embonpoint marqué qui parle avec le roucoulement reconnaissable de l'accent écossais. Nous voulons goûter du whisky et n'y connaissons rien. Il regarde sa carte (environ 200 whisky) avec un air concentré et note quatre noms qu'il nous propose. Il amène ensuite les bouteilles et nous sert très cérémonieusement. Mais son rôle ne s'arrête pas là, il nous explique les différentes nuances et nous initie gentiment. Il nous fait respirer le parfum qui s'échappe des verres et nous donne des instructions très précises quant à la dégustation. Pour celui là, léger, il faut laisser couler quelques goûtes sous la langue. Pour cet autre, plus fort, il faut au contraire faire tourner le liquide dans la bouche. Dans tous les cas, il ne faut pas avaler tout de suite mais laisser le whisky s'évaporer et le parfum nous emplir. L'expérience est réussie, nous sentons le goût de fruit de l'un ou de tourbe de l'autre (ce n'est que bien après la soirée que j'ai compris que le mot que voulait nous faire comprendre le serveur était "tourbé"). Je marche ensuite dans la nuit,  comme j'en ai pris l'habitude, pour mon dernier retour à l'hôtel. Et c'est pourtant seulement maintenant que j'ai l'impression d'avoir fait connaissance avec la ville pour la première fois.

Samedi, grand ciel bleu sur la ville. Après un bon petit-déjeuner, je marche avec d'autres vers la gare. Bien que j'ai mon sac avec moi, il fait tellement beau que je ne prends pas le bus. Je dois prendre le train à 17h pour me rendre à Newcastel où j'ai découvert qu'une amie à moi vivait. En attendant, promenade et visite d'Edimbourgh. J'ai laissé ma valise à la gare et j'ai rejoint quelques collègues qui veulent, comme moi, aller voir le château. Je n'avais pas encore vu la ville en plein jour (et encore moins en plein soleil), je découvre ses rues sinueuses, ses airs de château hanté, ses pierres brunes, ses toits pleins de pointes et de pics, ses petites tours rondes. Le vrai château, lui, est surtout hanté par les touristes même si quelques fantômes doivent aussi s'y cacher car il a été au coeur de l'histoire tumultueuse de la ville. Depuis les remparts, on  a une vue magnifique qui s'étend jusqu'au bras de mer au delà de la ville et aux montagnes à l'horizon. Les bâtiments (pas très médiévaux car le château a été beaucoup trop détruit) renferment surtout des musées et qui parlent surtout de la guerre. On visite le "war museum" mais on ne va pas au "regimental museum" car après tous les fusils et les uniformes qu'on vient d’admirer, on se demande ce qu'il peut bien rester à exposer. En plus de ça, il y a encore un "war memorial" et une dernière salle pleine de sabres impressionnants. En haut d'une tour, on parcourt l'histoire de la monarchie écossaise (tout à fait incompréhensible pour une néophyte telle que moi) pour arriver aux joyaux de la couronnes (écossaise, pas anglaise). Le monument le plus ancien de est une jolie petite chapelle du XIIème siècle devant laquelle on peut encore admirer un énorme canon.

La visite nous a mené jusqu'au début d'après-midi. Le ciel s'est maintenant couvert et un vent glacé s'est levé. Nous redescendons à travers la vieille ville et trouvons un agréable restaurant où je goûte du faisant... On est dans un bâtiment ancien avec du parquet qui craque et des voutes de pierres. Quand on sort, l'heure est déjà assez avancée et je vais bientôt devoir retourner à la gare (qui n'est pas bien loin). Avant ça, je vais tout de même voir la national gallery où une petite salle est dédiée à Turner : en effet, un collectionneur contemporain du peintre lui avait acheté de nombreuses aquarelles avant de les léguer au musée. Mais au vue de la fragilité des oeuvres, il a demandé à ce qu'elles ne soient exposées qu'en janvier. C'est ce qu'a fait le musée depuis une centaine d'année. Ce sont donc des oeuvres inconnues que je découvre, assez différentes de celles que l'on voit d'habitude. De petits formats, parfois de simples cartes postales faites sur des carnets au grès de voyages où la couleur est lancée avec cette touche si particulière à Turner. J'apprécie leur simplicité et leur spontanéité, la salle est petite et je peux passer du temps devant chaque oeuvre, chacune très commentée.

C'est l'heure pour moi de prendre le train. De Newcastle, je ne verrai seulement assez que pour me rendre compte de la différence avec Edimbourgh. J'ai quitté des collines médiévales et je trouve une ville moderne et plate où chaque pont du fleuve Tyne semble être une oeuvre d'art contemporain. L'amie chez qui je passe la nuit habite une petite maison avec une bow window à Whitney bay et sa rue donne directement sur la plage. La vue éphémère que j'en ai en ce dimanche matin d'hiver me donne la sensation immédiate de l'été et de la douceur de vivre. Je repars pour Edimbourgh après cette courte escapade, le train longe la mer avant de rejoindre la campagne qui d'un bleu pale passe soudain au brouillard de la pluie. Cette fois, je rentre en avion et même si les Highlands restent encore du domaine de mon imaginaire, l'Ecosse a pris en quelques jours un peu plus de réalité dans mon univers...