Quand nous arrivons sur le quai de petite Martinique, nous ne voyons pas de bateaux mais des gens qui attendent avec leurs bagages. Nous demandons si le ferry pour Grenade arrive bientôt et ils nous désignent un petit yacht bien minuscule pour un si long trajet. On nous explique que le grand bateau est plus loin et qu'on le rejoint avec le petit. Après avoir attendu 1/2 heure à fondre dans la chaleur humide on nous laisse enfin nous installer et le bateau part rapidement. Nous sommes assis à l'intérieur, plutôt en dessous du niveau de l'eau. Par les petites fenêtres carrées, nous n'apercevons que le ciel gris et uniforme qui se balance. Le moteur vrombit de façon très désagréable et nous devons fermer les yeux et chercher la somnolence pour ne pas être malade. Heureusement, le voyage est court et nous changeons de bateau à Carriacou, rejoignant le plus grand ferry qui doit nous amener à Grenade. Nous sommes maintenant assis à l'extérieur et profitons de l'air frais marin. Nous regardons l'île de Carriacou s'éloigner, voguant vers le sud. Je me lève bientôt pour regarder les vagues se briser sur les flancs du bateau. L'attraction la plus amusante reste l'observation des poissons volants. Plus je les regarde, plus je trouve ces animaux improbables et étranges. A les voir planer au dessus de l'eau, on croirait que quelqu'un s'est amusé à prendre un poisson tout ce qu'il y a de plus poisson et à lui attacher deux petites ailes télécommandées pour le balader au dessus des vagues. Car quand on dit "volant", c'est qu'ils ne font pas que bondir rapidement, ils restent plusieurs dizaine de seconde hors de l'eau à virevolter avant de replonger. Ils sont très rapides et parcourt ainsi parfois 20 ou 30 mètres. On a l'impression qu'ils font ça pour s'amuser. Un autre être marin vient enchanter les passagers : un dauphin qui bondit plusieurs fois juste à côté du bateau comme pour se faire mieux admirer.

Nous arrivons à Grenade par le nord et devons longer toute l'île pour rejoindre le port de Saint-Georges. Les grands oiseaux nous accueillent alors que nous nous rapprochons de la côte. Avec Grenade, nous retrouvons une grande île. Derrière ses côtes sauvages, un paysage escarpé dont les sommets se perdent dans la brume. Parfois, l'île est creusée d'une grande vallée qui descend jusqu'à la mer. La terre se termine en rochers et falaises parfois découpées de petites plages brunes. En descendant vers le sud, les plages se font plus grandes et les habitations plus régulières. Puis, au creux d'une baie, apparaît Saint-Georges, blanche et unie, qui escalade joliment sa colline avec ses belles maisons géométriques. Nous voilà sur le quai à refuser les nombreux taxis, l'un d'eux, fair play, nous indique l'arrêt de bus. Nous montons dans le mini-van qui doit nous amener à destination. Les bus ont des numéros affichés sur le pare-brise, ce qui facilite les choses. Nous sommes un peu serrés avec nos sacs, mais ça aurait pu être bien pire. Il y a en général deux personnes importantes dans le bus : le chauffeur imperturbable et le jeune homme qui s'occupe de la porte. Son rôle est crucial : il scrute les passants pour les alpaguer quand le bus n'est pas plein, il s'assure que tout le monde paye et surtout il organise les places assises dans le bus. Celui qui est là aujourd'hui est plein d'une énergie gaie et insouciante. Le sourire aux lèvres, il passe son temps accroché à son téléphone portable. Nous imaginons qu'il donne rendez-vous à ses différentes petite amies le long du trajet. C'est à lui que nous donnons notre destination, les passagers qui connaissent la route se contente de tapoter la vitre quand ils souhaitent descendre.

Nous nous rendons dans un village appelé Crochu, il se trouve assez loin de la capitale et quand nous arrivons, la nuit est en train de tomber. Il nous faut encore descendre une route à pied puis marcher sur un chemin boueux où nous allumons des lampes de poche. Dans la nuit noire, nous trouvons enfin l'hôtel et pouvons nous installer dans notre chambre. En fait de chambres, ce sont de petits chalets en bois, montés sur pilotis, installés dans un grand jardin. Nous dînons d'un délicieux curry de poulet préparé par la maîtresse de maison et rentrons nous reposer. La chambre comporte deux lits d'une place et un matelas par terre rajouté pour nous, mais ce n'est pas très pratique. En effet, nous sommes au milieu de la nature, il y a des bestioles et personne ne veut dormir sur le sol. Nous devons donc nous partager un lit d'une place avec Sébastien sans s'emmêler dans la grande moustiquaire qui nous tombe dessus, la nuit n'est pas très confortable. Au matin, nous découvrons le jardin fleuri qui embaume l'air et la vue magnifique sur la mer. L'endroit est parfait pour une retraite au calme où l'on passe des journées paresseuses à lire sur le balcon. Nous décidons cependant de ne passer ici que 2 nuits au lieu des 4 prévues initialement. Nous voulons nous rapprocher de la ville et de l'aéroport. Aujourd'hui cependant, nous profitons du lieu. Nous descendons vers la plage, nous perdons, marchons à travers un petit chemin dans la forêt. Mais la plage est jolie, sauvage. Les vagues de l'Atlantique se brisent au loin sur des rochers et nous nageons dans l'eau calme. Le soleil tape quand nous remontons. Rafraîchis par la douche, installés sur notre balcon, nous aurions envie de ne plus bouger de l'après-midi. Mais nous n'avons rien à manger et il faut tirer de l'argent pour payer la chambre. Nous devons prendre le chemin qui grimpe vers l'arrêt de bus, écrasés par la chaleur. Le bus nous emmène à Grenville, à 20 minutes au nord de Crochu, c'est la deuxième ville de l'île. Nous descendons au milieu du marché, l'air est parfumé d'épices. La ville est plutôt jolie, très vivante. Nous mangeons des roties sur un parking près de la mer : nous ne sommes pas dans un lieu touristique, rien n'est joliment aménagé. Quand un mendiant s'approche pour nous demander de l'argent, il est vertement chassé par une vendeuse. Avant de repartir, nous nous baladons sur le marché. Grenade est "l'île aux épices", en particulier, c'est ici que pousse la noix de muscade. Arrêtée près d'un petit étal, je passe du temps à choisir ceux que je veux rapporter. Ici, pas besoin de marchander, de ruser, de déjouer quoi que ce soit, la vendeuse discrète m'explique tout ce que je veux savoir et n'essaie pas de me forcer la main. Mais j'ai acheté chez elle presque 10 euros d'épices et elle est visiblement contente : elle m'en rajoute gratuitement quelques-uns. Nous voilà à nouveau dans le minibus à virevolter le long de la côte atlantique, essayant d'apercevoir la mer et le paysage à travers les fenêtres grises. En rentrant, nous nous arrêtons sur un coup de tête dans un endroit qui semble être un bar le long de la route qui descend vers l'hôtel. On nous accueille l'air un peu surpris, mais oui, c'est un bar et l'on nous sert volontiers à boire. Il est agréable de profiter de la fin de journée avec une boisson fraîche après le trajet en bus. Assis dehors sous un auvent, des hommes jouent aux dominos et ça a l'air d'une affaire sérieuse. Par ailleurs, une femme joue à un jeu de carte avec son petit-fils. Les règles sont simples, nous les comprenons vite et jouons avec elle. S'ils ont été surpris de nous voir, les clients (des habitués et la famille) sont maintenant ravis de nous avoir et nous passons un moment très agréable. Nous prenons des photos de la dame et de son petit fils, nous prenons son adresse et lui enverrons une carte de Paris. Le soir, je rencontre le gérant de notre hôtel pour lui payer la chambre. J'avais déjà vu sa femme la veille. Ils forment tous les deux un couple étrange et assorti. Lui est allemand et elle grenadienne. J'ai eu les plus grandes difficultés à communiquer avec lui par email car il ne répondait jamais clairement à mes questions : A quelle distance est la station de bus ? Comment se rend-on à l'hôtel depuis Saint-Georges ? La réservation est-elle confirmée ?... Quant à elle, nous avons toujours l'impression qu'elle ne comprend pas ce qu'on lui dit. Quand on lui pose une question, elle nous regarde avec un air un peu absent et nous répond souvent un peu à côté. C'est comme si elle comprenait les mots mais pas la signification globale de la phrase ni le rôle qu'elle doit jouer dans la conversation. Les deux semblent vivre dans un monde à part, plus lent, plus doux. Coupés du monde dans leur petit paradis verdoyant, leur mode de vie leur convient visiblement. Ils sont un peu déçus que nous ne restions pas plus longtemps, je leur explique que la chambre ne va pas pour trois même si je ne suis jamais sure qu'ils aient compris le problème. Cependant, ils sont très sympathiques et nous donnent beaucoup de conseils sur Grenade. Notre départ imminent les réveille provisoirement de leur torpeur habituelle. Je pense que leur affaire fonctionne à peu près, car l'endroit est très joli et doit beaucoup plaire aux âmes romantiques en recherche de nature et de calme. Il y a un Allemand dans le chalet voisin du nôtre qui passe ses journées assis sur son balcon à regarder la vue... Et voilà, nous quittons le paradis. Les rastas opposent le Zion, qui représente la nature avec laquelle on doit vivre en harmonie, à Babylone qui représente tous les travers et absurdités de la société moderne. Nous avons quitté le Zion et nous rapprochons de Babylone : notre nouvel hôtel est situé dans la zone touristique au sud de Saint-Georges, plus de beau jardin fleuri mais une route avec des voitures, on a aussi remplacé les moustiques et bêtes bizarre par l'air climatisé ! Les bus passent à moins de 50 mètres. Nous avons dû en prendre deux différents pour venir. Ils sont déjà au rythme du carnaval qui aura lieu ce week-end (mais que nous ne verrons pas) et la Soca s'échappe de toutes les radios. C'est une musique antillaise très rythmée et répétitive faite pour danser et défiler. A peine arrivés que nous repartons vers la plage, Grande Anse, qui se trouve à 5 minutes en mini-bus. Nous descendons car nous voyons un peu de sable et de soleil au bout d'une rue, et voilà la plage qui s'étend dans toute sa beauté. C'est le genre de plage de rêve dont on fait des affiches dans le métro pour vendre des voyages organisés. Elle s'étend sur 2 kilomètres, sable blanc, mer turquoise, lisse comme un lac, de grands palmiers pour l'ombre. Nous entrons dans un petit bar où un vieil Antillais joue de la guitare et chante d'une voix chaude et sucrée pour le plaisir de deux touristes américains qui lui paient des verres. Nous prenons de l'eau et des beignets fourrés à la viande. Nous sommes à nouveau dans le monde des touristes : les prix sont traduits en US dollars, on peut louer des chaises longues sur la plage et de jeunes pinups viennent acheter des cocktails glacés qu'elles vont boire sur le sable. Mais la plage est grande et belle et pas du tout surpeuplée. Elle est aussi utilisée par les locaux et des familles viennent profiter de ce joli coin de paradis. En outre, une plage touristique a aussi des avantages qu'on ne trouve pas dans les criques désertes : des toilettes et des douches (propres) par exemple ! Après s'être rafraichis dans l'eau claire et s'être doucement séchés à l'ombre d'un arbre, nous repartons pour aller visiter Saint-George. La ville ne manquait pas de charme depuis le bateau et nous voulons la voir de plus près. D'un côté la marina touristique avec ses maisons blanches et ses restaurants chics, de l'autre le centre ville où nous descendons au terminal des bus : gros bloc de béton gris juste devant la mer. Entre les deux, il y a une grande colline et en haut le vieux fort que nous voulons visiter. Nous aurions voulu éviter de prendre un guide mais l'entrée officielle du fort est fermée et nous ne pouvons visiter qu'en suivant Paul qui ne tarit pas en explication sur sa ville, nous pointant tous les bâtiments, nous expliquant les dégâts de l'ouragan, la révolution communiste (mais je n'ai pas tout compris) et d'autres choses. Il est très exubérant et se lance sans arrêt des fleurs, vantant ses tarifs avantageux et son expérience. Visiblement aussi religieux, il fait une prière pour nous auprès de Jesus-Christ pour que notre séjour se passe bien : nous voilà rassurés ! Comme nous le payons généreusement, il est très contente et nous indique un restaurant populaire bon et pas très cher à côté du central de bus. Nous quittons Paul et allons prendre un verre dans un petit bar décoré de drapeaux. Puis l'heure tourne et nous allons au restaurant en question : grande cantine self service où l'on sert de délicieux plats à des prix modiques. Nous rentrons assez tôt à l'hôtel pour nous reposer avant notre dernière journée à Grenade. Le vendredi, nous essayons de ne pas nous lever trop tard pour aller faire une balade un peu au nord de l'île. Nous longeons la côte caraïbe que nous avions vue du bateau, la mer apparaît magnifique à chaque tournant, en bas de la côte raide et couverte de végétation. Au milieu des palmiers, brillent les bien nommés flamboyants aux fleurs d'un rouge éclatant. Nous descendons dans la ville de Concord et devons maintenant monter à pied une longue route ensoleillée pour voir une chute d'eau. Nous avons choisi l'option des pauvres (ou des courageux) et n'avons pas pris d'excursion organisée hors de prix ni même loué une voiture. C'est pour ça qu'il nous faut marcher tandis que les touristes nous doublent dans leurs taxis. Ce n'est pas évident mais le soleil n'est pas encore trop haut et la chaleur est supportable. En ce moment, je lis "Autoportrait de l'auteur en coureur de fond" de Murakami et je suppose que cela me donne du courage. Nous passons d'abord devant des maisons puis la route s'enfonce dans les terres et nous ne voyons presque plus d'habitations. La route est goudronné et la végétation n'est pas complètement sauvage, nous voyons des petites plantations et des jardins. Je peux reconnaitre quelques arbres comme l'arbre à pain où pendent les grosses boules vertes et rugueuses, ou le bananier (facile), je vois aussi des papayes et des avocats. Je respire le doux parfum humide de la forêt et le vent frais de la rivière me fait du bien. Je n'ai aucune idée de la distance à parcourir et j'économise mon énergie au maximum en marchant très lentement, quand au bout de presqu'une heure apparaît la chute d'eau, je suis surprise et enchantée. Elle n'est pas exceptionnelle, mais on peut se baigner dans son joli bassin : tout petit mais 6 mètres de profondeur. Quel bonheur de m'épuiser dans l'eau fraiche après cette marche, de nager contre le courant, de luter contre les remous et de plonger la tête sous la chute. Nous redescendons bientôt et je peux prendre un véritable plaisir à la balade. Je vois la forêt sauvage sur les flancs de la colline : les bambous qui frissonnent de leurs petites feuilles fines, les plantes plus lourdes d'un vert sombre et les grands arbres qui s'échappent au dessus de la mêlée avec leurs troncs torturés et magnifiques. Nous mangeons nos sandwichs en attendant le bus, deux passent sans nous prendre car ils sont pleins. Le système des mini-bus peut paraître anarchique mais c'est en fait la première fois que nous avons à attendre ! De retour à l'hôtel, nous nous reposons et ne ressortons que vers 16h30 pour aller nous baigner. Le bus nous dépose devant un hôtel de luxe et nous traversons avec curiosité ses longues étendues de gazon parsemées de fontaines et de fleurs. Nous trouvons la plage et nous éloignons un peu de l'hôtel pour nous baigner. Il y a en fait un autre accès que nous pourrons utiliser pour partir. La aussi, c'est une plage magnifique, il y a un peu plus de vagues qu'à Grande Anse mais c'est très agréable. Nous profitons de la fin d'après-midi dans le soleil plus doux à cette heure tardive. Quand nous partons, nous croisons un groupe qui se prépare à prendre un barbecue sur la plage. Et c'est notre dernière image de Grenade, nous mangeons nos dernières provisions et préparons nos sacs pour prendre l'avion le lendemain pour Trinidad.