Jeudi 9 juin

Nous quittons le camping le lendemain matin vers Skaftafell, point de départ pour les randonnées vers le glacier. Nous avons été rejoint hier soir par d'autres membres du groupes, nous sommes donc 12. Provisions dans le sac à dos, bien équipés, nous nous lançons à l’assaut de la montagne. Nous n’irons pas sur le glacier, car cela demande un guide et un équipement particulier, mais nous avons l’intention de grimper le pic qui le jouxte. La balade commence tranquillement et nous rejoignons une jolie chute d’eau. A ce moment, nous décidons de faire deux groupes. Ce début de randonnée nous donne déjà une image de nos capacités. Le groupe des rapides partira devant pour pouvoir monter jusqu’au sommet. Les lents pourront faire la boucle «classique» qui monte déjà bien haut. Je prend la tête du second groupe et notre petite procession prend joyeusement son rythme.

Le début n’est pas trop difficile. Nous nous retrouvons sur un plateau caillouteux balayé par les vents. Le bonnet et les gants ne sont pas de trop et j’apprécie particulièrement ma petite veste coupe vent. En contre bas, s’étend la plaine noire ondulée de rivières. Le vent soulève les cendres, formant des tourbillons de bronze. La lumière qui perce les nuages donne au paysage un aspect mordoré. Et sur notre droite, le glacier apparaît majestueux dans le brouillard. Nous quittons petit à petit les cailloux pour traverser une forêts d’arbustes à peine bourgeonnés en ce début juin. Entre deux bosquets, sur de gros talus au bord d’une rivière, nous nous arrêtons pour manger. Le vent s’est calmé et le soleil a chassé les nuages, nous sommes si bien installés qu’il nous est bien pénible de repartir.

Le chemin contourne un petit sommet pour rejoindre une crête. Je redoutais, à raison, la montée, mais arrivée en haut quel spectacle ! Nous marchons au sommet de la crête, sur un plateau de plusieurs centaines de mètres de large recouvert de cailloux. Sur la droite, le plateau descend en pente douce mais à gauche il se termine par une abrupte falaise. C’est derrière cette falaise que se dresse ce que nous ne pouvions voir jusqu’alors : une autre partie du glacier qui prend sous le soleil et les cendres des couleurs incroyables. Le sommet brille de teintes rouges et jaunes, la neige oscille entre le blanc, le gris et l’ocre alors que la roche noire y dessine des arabesques. En face de nous, deux pics, deux pointes noires sur le ciel. A notre droite, le glacier embrumé. Et vers l’est, la plaine qui semble s’étendre à l’infini dans un horizon mélange de terre, de mer et de ciel. Ce que nous ressentons en haut de cette crête n’est pas uniquement la beauté de ce qui nous entoure, c’est un sentiment plus fort, celui d’être au coeur d’une nature impressionnante et forte, de ces montagnes brutes qui semblent surgir de la plaine. Nous sommes entourés de glaces et de cendres, il est tout simplement incroyable de se trouver là où nous sommes.

Nous continuons d’avancer sur la crête vers les deux pics noirs. Mais arrivés à leur niveau, notre route avance horizontalement à flan de montagne. C’est là qu’il est possible de bifurquer vers le sommet, ce que nous ne ferons pas. Nous avançons sur des cailloux sombres, battus par le vent. Nous traversons quelques névés ou rivières gelées. Les cendres se mêlent à la glace pour former une boue noire sur la neige blanche. Ils ne nous gênent pas mais sont présents partout. Nous les voyons sur les montagnes alentour qui grisent la neige. Nous les sentons sur le sol sous nos pied, dans la mousse qu’ils colorent d’une improbable couleur grise. Il arrive que le vent les soulève en rafale et nous devons tourner le visage pour les éviter.

Nous apercevons quelques courageux qui crapahutent en haut du pic, serait-ce le reste du groupe ? Notre chemin passe de l’autre côté de la montagne et nous les voyons courir joyeusement vers nous. Ils ont été rapide mais ne se sont pas encore arrêtés pour manger alors qu’il est déjà 15h (nous avons eu le temps de faire deux pauses). Nous les laissons donc se mettre à l’abri pour manger et commençons notre descente. Nous longeons à nouveau une falaise. Elle nous sépare du glacier par un gouffre d’un kilomètre de large au fond duquel s’étend une immense langue de glace. Elle s’avance, grise et noire, découpée de profondes crevasses pour se terminer dans de petits lacs glacés.

Nous descendons donc, et si la descente ne m'essouffle pas comme la monté, elle me lasse bien vite. La fatigue se fait sentir, je suis moins résistante au froid et au vent, mon corps tout entier me demande d'arrêter. Et la descente n’en finit pas, j’avance mécaniquement parmi les cailloux et les buissons. J’essaie de marcher sur la mousse imbibée de cendres qui amorti mes pas agréablement plutôt que sur les cailloux douloureux. Après un temps infiniment long, nous arrivons en bas. Nous avons dû faire un détour car les autres sont là avant nous. Enfin, nous pouvons rentrer au camping où l’on préparera de la soupe et des pâtes pour notre grande tablée avant d’aller se blottir dans notre tente.