Voilà bientôt 10 ans que j'ai quitté l'Irlande, précisément fin juillet 2008. La dernière fois que j'y suis retournée, c'était en 2010 alors que Seb était lui aussi rentré en France. Nous avions encore de nombreux amis là bas. Depuis, beaucoup ont déménagé aux 4 coins du monde et moi je n'ai pas revu Dublin depuis 8 ans. L'idée de ce nouveau voyage m'a tout de suite plu. Nous n'y allons pas seuls. Nous voyagerons, pour la première fois, avec nos deux nièces S. 12 ans et E. 13 ans. Ce sera l'occasion de leur faire découvrir ce pays qui fut le notre pour un temps.

Les péripéties commencent à l'aéroport, avant même le départ. Les filles sont avec nous, encore un peu timides car elles ne se connaissent pas, n'ont jamais voyagé avec nous et n'ont pas trop l'habitude de l'avion. Alors que nous pensions avoir pris toutes les précautions nécessaires, nous découvrons que notre vol part une heure plus tôt que prévu ! L'information avait été envoyée dans un mail assez obscur que Seb pensait avoir pris en compte. Nous qui nous pensions à l'heure sommes donc en retard et c'est de justesse que nous pouvons enregistrer les bagages. Mais les problèmes ne s'arrêtent pas là. Grèves, avion plein, surbooking : derniers enregistrés, nous voilà sur liste d'attente. Il reste 3 places et nous sommes 4. Nous décidons de faire embarquer Seb et les filles et de laisser mon sort en suspens. Il faut que j'attende que tous les passagers enregistrés montent dans l'avion et si l'un d'eux manque à l'appel, je pourrai prendre sa place. Sinon je serai reléguée sur un vol demain matin. Je vois passer la file qui se dirige vers le bus. Ils sont tous là sauf un. Le steward appelle l'équipe à bord cherchant un certain Mr. O'Sullyvan dont l'ami, bien qu'enregistré, n'a pas passé l'embarquement : l'ont-ils loupé ? Est-il absent ? Est-il en retard ? Mon sort en dépend ! Personne n'arrive. Je suis le steward dans le petit bus, puis dans l'avion (après tout le monde) et patiente, dans l'incertitude, pendant qu'il vérifie que "ma" place est libre. C'est bon ! L'ami de Mr. O'Sullyvan n'a pas quitté l'Irlande, il n'est donc pas là pour son vol de retour et c'est moi qui prends sa place.

Après ce début un peu aventureux, le vol se passe sans encombre et les formalités d'entrées sont particulièrement rapides. Je retrouve l'aéroport de Dublin, si familier bien qu'un nouveau terminal ait poussé depuis la dernière fois. Nous récupérons notre voiture de location et roulons jusqu'à Portmarnock à quelques kilomètres au nord de la ville. La conduite à gauche, les panneaux, les routes : toutes ces petites choses qui me rappellent le temps passé ici et mes trajets quotidiens vers Swords où je travaillais.

Nous logeons au White Sands Hotel. En nous réveillant jeudi matin, nous découvrons un ciel bleu, éblouissant de soleil sur la mer. Après le petit déjeuner irlandais (oeufs brouillés, bacon et "black pudding"), nous nous promenons un peu sur la plage pleine de rochers et de coquillages. Au sud, la presqu'île de Howth s'avance, découpant le ciel et la mer de ses falaises verdoyantes. Enfin, nous prenons la voiture et commençons notre voyage : direction l'ouest.

La route vers Galway est tranquille. L'autoroute traverse les pâturages ou paissent vaches et moutons ainsi que les champs de tourbe fleuris de joncs. Le temps est irlandais : des éclaircies lumineuses entrecoupées d'averses. À l'arrière, les filles se sont endormies. Nous atteignons Galway en début d'après-midi. Le temps est frais et ensoleillé. Nous nous garons sur le port et marchons vers le centre-ville pour déjeuner.

Deuxième (et dernière) mésaventure du voyage dont je suis à nouveau victime : alors que je marche sur le trottoir, une voiture garée m'ouvre sa portière dessus. La jeune femme semble désolée. Je suis un peu abasourdie par le choc de la collision soudaine. Je m'assois un peu plus loin pour reprendre mes esprits. Je vais bien mais la douleur au niveau du genou me suivra le reste du voyage (coup sur la rotule : rien de grave mais il faut quelques jours pour que ça passe). Ça ne sera vraiment handicapant que le jeudi, jour du choc. Par la suite, je ne subirai les quolibets de Seb (et l'air compatissant des filles) que lorsque je devrai monter ou descendre un escalier. En tout cas, c'est en boitillant que je traverse le centre-ville de Galway à la recherche d'un café pour déjeuner.

La ville est aussi charmante que dans mon souvenir. La rue piétonne est animée de musique. Les boutiques et les restaurants se succèdent au pied des maisons colorées. Nous prenons des sandwichs dans un vieux pub puis marchons vers l'office de tourisme. Que faire cet après-midi ? La décision est vite prise : nous irons visiter le Connemara dont le nom suscite la curiosité des filles.

De Galway, nous roulons vers l'ouest, le long de la "Wild Atlantic Way". Petit à petit, les maisons se font plus rares et le paysage prend des allures sauvages et décharnées. La mer semble grignoter la terre, formant de longues flaques grises parsemées d'îlots. Les verts pâturages ont laissé la place à une herbe jaune et sèche poussant sur la tourbe balayée par le vent. Il n'y a plus d'arbres. Les champs, où paissent chevaux et moutons, sont séparés par des petits murets de pierre. Au loin, on voit se découper de hautes collines. Seb et moi avons déjà visité la région il y a longtemps, lors de notre séjour en Irlande. L'impression reste la même : celle d'une grande beauté sauvage qui évoque aussi la rudesse et la désolation. À l'époque, nous étions allés jusqu'à Clifden dont je garde le souvenir venteux d'une ville de bout du monde. Aujourd'hui, nous n'allons pas si loin car l'après-midi est déjà bien avancée. Nous nous contentons de rouler sur un chemin de traverse, de nous arrêter au milieu de nulle part et de descendre marcher un peu dans l'herbe jaune, la tourbe et le vent. Puis nous reprenons la route de Galway en passant par l'intérieur des terres, admirant au passage les petits lacs argentés qui apparaissent au détour des chemins.

Ce soir, nous logeons à une trentaine de kilomètres au sud de Galway, à Kinvarra, de l'autre côté de la baie. Nos hôtes ont aménagé d'anciennes étables en un agréable petit appartement. Ils habitent la maison juste à côté et nous accueillent chaleureusement. La journée a été longue, nous dînons le soir dans l'un des deux pubs du village puis rentrons nous coucher tôt après quelques parties de "Loup Garou", jeu de société qui remporte la pleine adhésion du public.

Vendredi matin, le soleil brille sur Kinvarra, ce qui n'est pas si courant. La journée commence paresseusement. Les filles dorment encore tandis que nous dégustons le délicieux "soda bread" fait maison et étudions le programme de la journée. Finalement, tout le monde est prêt vers midi et nous pouvons partir. Notre hôtesse, volubile professeur de géographie, nous a imprimé un programme touristique détaillé rédigé par ses soins. Il est parfait, nous pouvons le suivre à la lettre, les instructions étant particulièrement claires. Nous commençons par une jolie promenade à quelques kilomètres de Kinvarra qui offre de magnifiques points de vue sur la baie de Galway. Puis nous visitons une jolie abbaye en ruine juste avant la petite ville de Ballyvaughan où nous déjeunons.

C'est le point d'entrée vers les Burren, région minérale aux propriétés géologiques intéressantes. Ce sont de grandes collines recouvertes de roches formant d'étranges lamelles et crevasses. Toujours sur les conseils de notre hôtesse, nous allons à la grotte de Aillwee "montagne jaune" (ou "very dark cave" d'après la série Father Ted). Sur le même lieu, ils ont aussi un centre de conservation pour oiseaux de proies. Nous voyons chouettes, hiboux, aigles, vautours, etc. Nous assistons même au spectacle de démonstration où les oiseaux sont libérés pour être nourris et écoutons les nombreuses explications que nous traduisons pour les filles. Nous apprenons ainsi que les vautours, mal aimés, sont menacés d'extinction ce qui semble bien malheureux. Je me porte volontaire pour tenir le faucon sur mon bras ce qui convainc les filles d'essayer à leur tour. Elles semblent ravies de voir le bel oiseau de si près. Ensuite, nous visitons la grotte. Là encore, un guide nous donne diverses explications sur l'histoire géologiques des Burren.

Quand nous sortons, l'après-midi est bien avancée. Nous faisons un dernier détour pour admirer un beau dolmen puis filons vers Doolin pour aller visiter les Cliffs of Moher. Célèbre attraction touristique irlandaise, j'en ai vu de nombreuses images sans avoir jamais l'occasion d'y aller. En arrivant à 18h30, la masse de touristes est partie, nous avons les falaises pour nous. La journée a été ensoleillée et, miraculeusement, toujours aucune pluie. Le soleil du soir filtre à travers les nuages sur la mer d'argent. Les hautes falaises se tiennent, majestueuses, dans le vent. À leurs pieds, les gerbes d'écume semblent minuscules. Des oiseaux volent en poussant des cris le long de leurs flancs où ils ont fait leurs nids. Nous restons un moment à nous promener et admirer le paysage avant de rejoindre la voiture et de redescendre vers le village où nous dînons dans un pub. Nous remontons vers Kinvarra par la route de la côte. Le ciel est encore clair et nous profitons du crépuscule sur la mer tandis que la nuit tombe sur les Burren.

Le lendemain, c'est déjà le moment de revenir vers Dublin. Nous quittons Kinvarra en fin de matinée. Nous faisons une pause au sud d'Athlone pour visiter l'abbaye de Clonmacnoise (encore un conseil de notre hôtesse). Le soleil est toujours au rendez-vous et nous pique-niquons dehors. Il est 16h quand nous arrivons à Dublin et traversons le centre-ville en voiture, ravivant mes souvenirs. Nous logeons à Artane, dans le nord de la ville pas très loin de Coolock où nous avions habité. Nos hôtes sont une famille irlandaise qui loue plusieurs chambres dans leur grande maison. Lui a longtemps travaillé dans la construction ce qui explique les importants travaux qu'ils ont pu réaliser. Ils ont survécu, difficilement, à la crise qui a frappé Dublin en 2008 et se réjouissent de la reprise récente de l'économie.

Après une tasse de thé, nous ressortons et rejoignons à pied le parc St Anne où nous retrouvons notre ancienne colocataire espagnole Maria avec son compagnon irlandais et sa fille de deux ans. Maria habite à présent la banlieue sud, du côté de Wicklow, mais elle est montée dans le nord aujourd'hui pour voir sa soeur qui habite à Artane et attend un bébé. Maria a vécu avec nous à Coolock. Sa soeur l'avait rejoint peu de temps après notre départ et avait, elle aussi, vécu dans "notre" maison. Avec Maria, marchant le long des allées ensoleillées de St Anne, nous évoquons notre vie irlandaise, prenons des nouvelles et pensons au temps qui passe. Nous traversons le parc arrivons sur le front de mer. Derrière la plage brune, laissée nue par la marée basse, se profile Bull Island et sa lande venteuse.

Maria et sa famille repartent et nous prenons un taxi vers le centre-ville. Il nous dépose sur Parnell street, juste devant notre ancien appartement, où nous avons vécu après notre départ de Coolock. Les choses ont peu changé. Les restaurants chinois sont encore plus nombreux et le tramway passe à présent dans la rue. Nous descendons O'Connell street, montrons le Spire aux filles et rejoignons O'Connell Bridge puis Grafton Street. Je suis triste de voir que la statue de Molly Malone a déménagé. Je voulais dîner au Bewleys mais, malheureusement, il est fermé le soir. Il nous faut trouver un restaurant ce qui s'avère très difficile (et nous rappelle ce problème de nourriture très dublinois). Nous tournons en rond pendant presqu'une heure avant de nous asseoir, épuisés et affamés, sur une table en extérieur dans un restaurant de burger. Une table à l'intérieur se libère peu après et nous pouvons, enfin, dîner au chaud.

Et voilà que, déjà, le voyage se termine. Le lendemain, nous retournons une dernière fois dans le centre et marchons le long de Henry street. Les petites boutiques ont sans doute changé mais pas les grandes enseignes qui faisaient mon quotidien. Il y a toujours les centres commerciaux Jarvis et Ilac (avec la bibliothèque à l'étage), Debenham, Mark & Spencer et, bien sûr, Penneys qui s'est fait connaître à l'international sous le nom de Primark. Les filles vont y faire des achats, vêtements qui représentent aussi bien Dublin que les trèfles et les moutons qu'elles achèteront plus tard à Carrolls. Sur O'Connell street, la litanie de musique irlandais de la boutique de souvenirs se déverse toujours du matin au soir. Comme un dernier hommage à notre vie passée, nous déjeunons dans un restaurant coréen. C'est ici que j'ai découvert la gastronomie coréenne et, pour moi, le bibimbab évoquera toujours Dublin. Puis nous retournons à l'aéroport : direction Paris où nous attend la pluie. Adieu Irlande !