Ah que me croyais-je épargnée par les microbes qui avaient attaqué Seb il y a deux jours ! Réveillée en pleine nuit par des ballonnements insupportables, je dois vite me rendre à l'évidence : je suis complètement malade. Et me voilà au matin, languissant douloureusement dans mon lit. Évidemment, les qualités qui m'ont fait apprécié ce petit paradis m'apparaissent bien ennuyeuses. Quand on est malade, on a aucune envie d'être coupé du monde dans un lieu reclus de toute civilisation. Rappel des faits : je suis à Vardzia au fond d'une vallée paumée et magnifique. Une chose m'apparaît donc clairement : je suis malade mais je veux partir quand même, pas question de rester coincée ici. Comme je suis encore assez mal en point, Seb va visiter le monastère pendant que je me "repose" quelques heures. Je ne verrai donc pas l'église creusée dans la roche... Pour me consoler, je me dis que pour visiter cette église, il fallait monter un immense escalier en plein soleil à flanc de falaise. Même au mieux de ma forme, j'aurais eu les plus grandes difficultés... Quand Seb revient, je ne suis toujours pas très vaillante. Mais avec de la volonté on arrive à beaucoup de choses. Au prix de douloureux efforts, j'arrive à me préparer et à me trainer jusqu'à la voiture.

Même à moitié mourante, je ne peux m'empêcher de remarquer la splendeur du paysage alors que nous remontons la vallée. Dans le sens du retour, les panoramas sont encore plus beaux que la veille. Les collines jaunes et poussiéreuses parsemées de buisson plongent vers la rivière en rochers déchiquetés. Nous retrouvons bientôt la route principale. Cela se passe mieux que ce je pensais. Je me sens un peu mieux que ce matin et supporte tant bien que mal le voyage, bien enfoncée dans mon siège avec la clim au maximum (c'est une des journées les plus chaudes). Nous dépassons la ville d'Akhaltsikhe et prenons la direction de Borjomi. Le paysage devient plus vert et montagneux. Le long de la route, nous apparaissent des forteresses dressées sur des rochers. Je suis au jeûne forcé mais pas Seb qui veut s'arrêter et manger un peu. J'ai assez d'énergie pour sortir de la voiture et marcher jusqu'au bord de la rivière de l'autre côté de la route. Assise les pieds dans l'eau, je me sens presque bien. Je n'ai qu'un désir : plonger mon corps entier dans cette eau fraîche mais la raison et mes forces défaillantes me retiennent.

Nous arrivons à Borjomi en début d'après midi. Nous arrêtons la voiture dans le centre joyeusement chaotique de la petite ville. Seb s'occupe d'aller faire quelques commissions : tirer de l'argent et acheter un peu de nourriture car il me semble que la sensation de faim revient légèrement (je me remets plus vite que prévu). Il passe aussi dans une pharmacie car nos réserves en Vogalen s'épuisent. Il utilise le dictionnaire géorgien sur son téléphone pour traduire "nausée" et obtient des petites pilules qui m'ont eu l'air de fonctionner. Puis nous cherchons un hôtel. Nous tournons et retournons dans les rues du centre touristique, cherchant les hôtels du guide. Finalement, nous en trouvons un. Une grosse dame blonde très enjouée nous donne une chambre. C'est en fait un petit appartement tout en bois, comme un petit chalet. La chambre est en mezzanine et on a salon, salle de bain et cuisine au rez de chaussée. Étendue telle une âme en peine sur le canapé, je laisse Seb installer nos affaires. Puis je concentre mon énergie pour avaler péniblement un yaourt et quelques gorgées d'eau. Enfin, Seb part faire un tour en ville pendant que je m'endors d'un sommeil réparateur.

Quand il revient, j'ai repris un peu de force. Je décide que je suis assez en forme pour sortir. Je sens bien que je suis encore très faible et je vais particulièrement lentement. Mais j'ai envie de profiter de la douceur de cette jolie ville. Borjomi est une ville thermale nichée dans les montagnes. On y trouve l'eau du même nom vendue dans toute la Géorgie : une eau gazeuse au goût très salé genre Vichy (et que je trouve tout à fait imbuvable). Le centre ville est mû d'une douce agitation. Les mignonnes maisons nous offrent leur balcons, arches et colonnes. Partout des petits stands proposent des friandises et divers objets. Il y a des arbres et des allées fleuries. Il y a aussi un grand parc qui s'étend coincé entre deux montagnes. En ce vendredi soir, il est plein de familles qui se promènent. Des tas de gens font la queue pour remplir leurs bouteilles à la fameuse source. J'ai réussi à marcher jusqu'au parc avant de m'asseoir un peu à l'ombre. Puis j'ai la force de marcher encore un peu au milieu des bambins et des promeneurs. Au retour, nous nous arrêtons dans un café pour que Seb puisse se nourrir : moi je digère encore mon yaourt, je me contente de boire de l'eau.

Nuit réparatrice : quand je me lève samedi matin, je me sens complètement remise. Certes, je n'ai pas encore récupéré tout mon appétit, mais tout de même, ça va beaucoup mieux. Tellement mieux qu'on décide de retourner se promener dans le parc ce matin avant de partir. Dans le guide, ils parlent d'une piscine d'eau de source qu'on a bien envie de trouver. Il y a moins de monde qu'hier soir dans le parc et il est toujours aussi agréable, et même plus maintenant que je peux marcher sans m'arrêter tout le temps. Un chien (perdu ?) s'est pris d'affection pour nous sans pour autant que nous lui ayons donné le moindre encouragement. Il nous suit partout comme si on était ses maîtres. Au moment où cela devient vraiment bizarre il nous laisse enfin pour un autre groupe de touristes (il cherche à émigrer sans doute...). La première partie du parc est d'un genre "jardin des plantes", il y a des attractions pour les enfants et des tas d'animations diverses. Mais quand on avance vers les profondeurs, la vallée devient plus étroite et le parc plus sauvage : c'est une très jolie promenade en forêt. Au bout d'une demi heure environ, on arrive dans une petite clairière aux allures paradisiaques. Une rivière coule au pied d'un rocher, la forêt nous entoure et dans l'herbe au soleil, tranquillement se reposent les promeneurs. Près de la rivière, un petit bassin où les gens se baignent. L'eau y coule de la source à 27 degrés. Plaisir de l'eau et du soleil, on resterait facilement ici tout l'après-midi. Mais il nous faut vite repartir car nous devons quitter Borjomi aujourd'hui.

Anecdote de la pince à épiler : Seb cherche partout une pince à épiler. Dans son besoin constant d'être connecté, il a acheté en Arménie une carte sim pour son téléphone portable. Elle n'avait pas le bon format, il a dû la découper pour la faire rentrer. Maintenant, elle est coincée, il ne peut pas la remplacer par la carte géorgienne qu'il a acheté à Borjomi... Il montre à toutes les boutiques son dessin de pince à épiler emprunté au guide "Gépalémo" et reçoit des regards amusés et curieux de la part des marchands. Juste à la sortie du parc, une petite vendeuse mélancolique tient un stand de produits de beauté. Quand elle voit le dessin, elle semble surprise mais tend rapidement l'objet convoité. et voilà Seb possesseur d'une jolie pince à épiler géorgienne avec laquelle il n'aura aucun mal à retirer la carte sim récalcitrante...

Après tout ça, nous déjeunons dans un petit café. Je n'ai pas très faim mais je peux tout de même manger un peu de pain à la viande. Puis nous revoilà sur la route. Nous reprenons la direction d'Akhaltsikhe puis, de là, la route qui doit nous mener à Batumi sur la côte. Sur la carte, cette route paraissait semblable à n'importe quelle autre route. C'était la seule façon de rejoindre Batumi sans faire un détour par le nord. Elle commence d'ailleurs tout à fait normalement. Elle n'est pas très large mais bien entretenue. Nous roulons dans un paysage vert et vallonné très agréable. Puis voilà que le paysage devient de plus en plus vallonné et même carrément montagneux. Toujours rien de spécial à part de magnifiques points de vue. Mais d'un seul coup, le goudron s'arrête ! Notre route se transforme en chemin de terre et de cailloux. Nous continuons, sans savoir pour combien de temps nous sommes privés de route. Notre voiture est loin d'être un 4x4 alors il faut aller lentement pour éviter les trous et les pierres. Les choses ne s'améliorent pas vraiment et il faut parfois même traverser de gros ruisseaux. Ce qui est rassurant, c'est que l'on croise parfois d'autres véhicules qui n'ont pas l'air d'être plus des 4x4 que nous (vieilles lada, camion chargé de foin, ...). Par ailleurs, les montagnes autour de nous sont d'une beauté impressionnante dans leur manteau de nuage. Nous continuons de monter, croisant parfois des pâturages quand nous ne sommes pas dans la forêt. Tout en haut de la route, nous trouvons un village perdu dans la brume. Les maisons sont en bois, montées sur pilotis, éparpillées dans la montagne. Il y a des enfants sur la route qui nous saluent et veulent nous vendre des choses que nous n'arrivons pas à identifier. On se sent un peu perdu dans cet endroit du monde, on se demande vraiment comment on a atterri ici... Nous n'avions pas encore vu cet aspect là de la Géorgie : le contraste est impressionnant quand on pense que la route mène à la côte tapageuse de Batumi. Nous prenons un autostoppeur. Cette phrase ne retranscrit pas vraiment la réalité. Nous roulons très lentement et un vieux bonhomme s'approche de la voiture, il nous fait comprendre qu'il veut monter. Il a l'air de trouver très amusant d'être avec des touristes mais vu nos limites linguistiques, la communication s'arrête assez vite. Nous le déposons quelques kilomètres plus loin au prochain village. Nous continuons bon gré mal gré entre les bosses, les vaches et les cailloux. La route est plus ou moins pratiquable, nous semblons avoir dépassé le plus difficile. Et puis d'un seul coup, nous sommes au coeur d'une petite ville et le goudron revient, dans un état presque parfait. Nous avons quand même roulé deux heures sur la "piste" et nous ne sommes pas encore arrivés. Ce matin, nous pensions mettre environ 3 ou 4 heures pour rejoindre Batumi, il nous en a fallu 6. Cependant, nous ne regrettons pas cette déroutante traversée des montagnes. En arrivant sur la route de la côte, on a l'impression d'avoir changé de monde...