Un mercredi matin, je sors d'une station de Bart et me voilà en plein cœur de San Francisco. Je ne connais pas la ville, c'est à peine si j'ai regardé le plan. Avec moi, j'ai simplement un petit guide de poche. Je suis arrivée la veille au soir après une très longue journée de voyage : 3h de vol entre Vienne et Londres puis 10h pour traverser l'Atlantique et le continent. En quittant Londres, j'ai vu le soleil se coucher, puis se relever à l'ouest ! A cause du décalage horaire, je n'ai pas réussi à dormir correctement et je suis debout depuis 4h du matin. A présent, il est environ 10h. Il fait encore frais même si le soleil brille. Mon esprit est légèrement embrumé par le manque de sommeil, contrairement à la ville qui, resplendissante de lumière et de ciel bleu, n'est pas fidèle à sa réputation. Je fais quelques pas et me voilà au bord de la mer. La baie s'étend devant moi, traversée d'un large pont. Dans ma naïveté, je crois être face au Golden gate et ne réalise que plus tard en regardant mon plan que c'est en fait Bay bridge. Qu'importe ! Marcher le long des quais dans le soleil du matin, le visage caressé par une brise salée. Quelques vagabonds se réveillent sur le trottoir. Dans l'eau, j’aperçois le minois discret de deux otaries.

Il est difficile de décrire pleinement ce que je ressens à cet instant. C'est le plaisir d'être dans un lieu désiré et imaginé, le bonheur d'être à l'autre bout du monde. C'est l'excitation de cette ville nouvelle dont je ne sais encore rien. C'est la pleine liberté de mon errance solitaire. Se promener à l'inconnu, sans contraintes, aller au hasard d'une rue à une autre... Je m’arrête dans un café, mon petit déjeuner a été frugal et j'ai déjà faim. J'en profite pour légèrement planifier ma journée. Je peux continuer à marcher vers l'ouest et tenter plus tard de rejoindre le port au nord de la ville. Je remonte doucement le long de Mission Street. Le centre ville rappelle celui d'autres villes américaine : larges avenues, grands buildings. Fatiguée par ma nuit trop courte, je ferme les yeux, étendue au soleil sur l'herbe des Yerba Buena Gardens.

C'est le début de l'après-midi et je commence véritablement mon exploration. Comme tous les autres touristes, je fais la queue pour prendre une "Cable Car". Je doute fort que ces pittoresques petits wagons tirés par des câbles souterrains soient encore un véritable moyen de transport pour les locaux mais ils font partie du paysage San Franciscain et tout bon visiteur se doit de les emprunter. C'est partie pour les montagnes russes ! Quand on parle des collines de San Francisco, ce n'est pas une blague. La ville est tellement vallonnée qu'on se demande comment on a pu la construire. Les rues montent à pic vers le ciel et redescendent de façon toute aussi brutale. Au sommet, on aperçoit d'un seul coup la ville, la baie et même le Golden Gate entre deux petites maisons. En quittant le centre, on semble aussi avoir quitté l'Amérique. On est loin de l'ambiance gratte ciel de New-York ou Chicago. Les rues sont bordées d'élégantes petites maisons sculptées de balcons et de bow-windows. Dans les jardins, fleurissent des arbustes multicolores. C'est un mélange entre le genre british et méridional qui laisse une impression de douceur et de tranquillité.

Me voilà à l'extrémité nord de la ville, devant un port et une petite plage. C'est un des quartiers les plus touristiques. La rue principale est bordée de boutiques de souvenirs et de restaurants de fruits de mer. Des marins à l'accent nasillard proposent des balades en bateau vers Alcatraz que l'on voit au loin.  Je profite de l'air marin et rejoint un coin célèbre pour être squatté par les otaries. Elles se prélassent au soleil tels de gros boudins en poussant des cris stridents. Certaines se dressent de toutes leur hauteur boursouflée et se battent maladroitement en se poussant dans l'eau. C'est un spectacle très amusant qui fait la joie des touristes qui les mitraillent à coup d’appareil photo.

Avant de redescendre vers le sud, je traîne un moment sur la plage. L'eau est calme, j'ai enlevé mes chaussures pour marcher pieds nus dans le sable. La fraîcheur de la matinée a entièrement disparu et je me laisse fondre dans la douceur estivale. La mer, froide et belle, m'attire comme toujours. Si j'avais eu mon maillot, j'aurai pu faire partie des quelques courageux nageurs qui bravent le courant glacé. Mais je me résous à partir en ne m'étant enfoncée que jusqu'aux chevilles.

Plutôt que de prendre à nouveau une cable car, je repars à pieds. Lentement mais sûrement, j'arpente les à pics des collines. Depuis les sommets, je profite des magnifiques panoramas sur la ville où se dessine parfois le Golden Gate. Je me fais un devoir de trouver la rue qui a inspiré Armistead Maupin pour sa fameuse série des chroniques de San Francisco. Les rues sont toutes si jolies ! Baignées par la douce lumière de l'après-midi... Je mets plus d'une heure à rejoindre le centre (plus plat) mais c'est une promenade particulièrement agréable. Je pensais aller m'écrouler dans un café quand je me fais aborder par un mendiant. San Francisco, sans doute à cause de son climat et peut-être pour son esprit libertaire, est peuplé de nombreux marginaux et la mendicité est assez répandue. Je refuse d'abord cette nouvelle sollicitation mais finis par accepter quand l'homme me demande de lui payer un burrito dans un restaurant mexicain qu'il me désigne. Pourquoi pas ? Au final, j'ai un peu d'argent et beaucoup de temps. S'en suit une discussion incongrue et amusante. Il me raconte qu'il est orphelin, qu'il a quitté son Tennessee natal à 16 ans pour venir faire sa vie en Californie. Comme beaucoup d'autres jeunes, il n'a pas trouvé l'eldorado mais une vie de galère entre petits boulots et mendicité. Il est noir américain, sa femme est latina et il m'avoue qu'elle a des problèmes d'alcools. Tous les deux sont dans la même galère et essaient de survivre. A ce point, du fait que je lui ai payé le burrito, on a dépassé le baratin visant à m'attendrir. C'est une conversation franche et sincère qui, pour quelques minutes, réduit la barrière sociale entre nous. Je peux blaguer avec lui, lui dire que, j'ai beau être sympa, on m'a déjà demandé de l'argent au moins 10 fois aujourd'hui... Il n'est pas amer, il n'en veut pas à ceux qui ne lui donnent rien (nombreux), il garde le sourire. J'apprécie cette étrange rencontre, de celles qu'on a toujours dans les pays étrangers, là où ne craint pas de faire naître des attentes auxquelles on ne pourra pas répondre. Je lui brise sa vision idéalisée de la France : non, tout n'y est pas luxe et oui, on y trouve des mendiants, des laissés pour compte, etc.

Quand je finis par m'en aller (en ayant pris son adresse mail car il en a une), c'est déjà presque le soir. Je rentre donc directement en regardant le soleil se coucher depuis le train de banlieue qui me ramène vers San Matéo.