Le ferry nous dépose à  Horseshoe Bay le mercredi en fin d'apres-midi. De là, nous prenons la "Sea to Sky" highway 99 qui remonte au nord vers Squamish puis Whisler. Nous longeons à droite les flancs abruptes des montagnes et à gauche l'eau turquoise du fjord, au loin des pics enneigés se dessinent sur le ciel. Avant sa rénovation lors des jeux olympiques d'hiver, cette portion de route était surnommée "Sea to die"...

La petite ville de Squamish se situe à l'embouchure de la rivière dans le fjord, parfaitement située entre montagne et océan. Comme je l'apprendrai le lendemain, elle est en pleine transition. Pendant des années, elle a vécu des industries minières et portuaires, chargeant les matières premières venues des terres sur de gros cargos pour les envoyer à Vancouver et au delà. C'était une ville assez pauvre, traînant une mauvaise réputation où personne n'aurait eu l'idée de s'installer. Puis, à l'aide d'une campagne de communication bien pensée, elle a réussi à mettre en valeur son patrimoine naturel exceptionnel, attirant randonneurs et amoureux de la nature. Ses nouveaux habitants sont des jeunes plus ou moins désargentés qui ont quitté la vie urbaine pour passer leur temps à escalader des rochers. La ville cherche encore son avenir. Le tourisme s'est développé, apportant avec lui ses installations parfois un peu trop envahissantes pour le goût local. Ainsi, un magnifique téléphérique permet maintenant à n'importe quel paresseux (comme moi) d'aller admirer les sommets. Les habitants viennent de voter contre la construction d'une piste de ski. Mais les industries historiques de la ville ne sont pas loin non plus et leur développement est sans doute encore pire pour l'environnement. Enfin, les promoteurs guettent, les loyers augmentent et le développement urbain de Vancouver risque de transformer petit à petit la ville en simple banlieue lointaine...

Nous campons sur un joli emplacement juste en face des magnifiques Shannon Falls. Ce serait parfait sans la route qui passe juste à côté : pour dormir, le bruit des vagues c'est quand même plus sympa que le bruit des voitures. Nous partons "visiter" le centre-ville de Squamish. Les bâtiments ressemblent tous à des hangars à bateaux, les habitants doivent vraiment passer tout leur temps à l'extérieur... Heureusement "internet" nous indique un petit restaurant à quelques kilomètres au nord. Le long d'une rivière argentée prête à accueillir les saumons remontant le courant, les montagnes enneigées dans la lumière du soir comme décor, nous profitons de nos burgers...

Le lendemain, on doit mettre le réveil, on a rendez-vous à 8h avec un couple d'amis : Leigh et Spring. Leigh était un collègue à moi lorsque je vivais à Dublin, je ne l'ai pas vu depuis 7 ou 8 ans. Il est irlandais et sa femme est canadienne. A l'époque, il était ingénieur système et menait la vie sédentaire et urbaine d'un citadin. Puis ils ont déménagé au Canada et petit à petit, son profil Facebook s'est rempli de photos de montagnes et de récits de trecks à travers les glaciers. Quand je le retrouve sur le parking après tout ce temps, son aspect traduit son changement de vie. Son corps est plus fin, tout en muscles tendus et son visage est tanné, légèrement ridé par le soleil. Lui et sa femme passent à présent la majeure partie de leur temps à l'extérieur, à grimper sur les falaises et les montagnes été comme hiver. Quand ils ne sont pas là haut, ils gagnent leur vie en tant que freelances, en particulier rédacteurs pour des agences ou sites touristiques. Ils tiennent un blog où ils racontent leurs exploits : Pebbleshoo. Leigh m'explique que la plupart des alpinistes stars semblent être nés en haut d'un glacier avec des crampons aux pieds. Sur son blog, il a voulu expliquer comment on pouvait se transformer en montagnard quand on a passé son enfance avachi sur le canapé, à jouer à des jeux vidéos dans une banlieue de Dublin.

Ce matin, lui et Spring nous proposent de découvrir "The Chief" : ce gros rocher qui surplombe la vallée et qu'on ne peut pas louper. Leigh me dit que la première fois qu'il a grimpé là haut, il a cru littéralement qu'il allait mourir  (il était devenu tout bleu). Maintenant, pour eux, c'est une promenade de santé, l'équivalent pour moi de faire le tour du parc Montsouris. Leigh se propose de porter toutes nos affaires, il préfère avoir un peu de poids pour s'entraîner et compenser le fait qu'il va aller lentement... La montée ne fait "que" 2km mais avec 500m de dénivelé. L'image la plus proche serait celle d'un immense escalier à travers la forêt... D'ailleurs il y a parfois de véritables marches en bois, aménagées depuis peu. Le plus souvent on suit cependant un chemin de pierre, lui aussi assez récent. Quand Leigh et Spring se sont installés ici, peu de gens connaissaient cette balade. Maintenant, un flot continue de visiteurs la parcourt tous les jours.

Ça monte, ça monte. Je ne deviens pas toute bleue et je fais bien attention à ne pas mourir. C'est douloureux et je vais vraiment très lentement. Sébastien, Leigh et Spring m'attendent patiemment. Heureusement, c'est le matin et il ne fait pas trop chaud. Par ailleurs, nous sommes à l'ombre dans une jolie forêt  (il paraît qu'il y a des cougars). Vers la fin, ça devient plus rocailleux. Il faut escalader un peu en s'aidant de chaînes métalliques avec lesquelles on se hisse. Je me repose un peu avant la montée finale : grande plate-forme rocheuse en plein soleil.

Une fois là haut, après 2h de montée, je suis récompensée par la vue splendide. Le fjord s'étend de toute sa beauté turquoise en terminant sur les installations portuaires de Squamish. Autour de nous, notre regard se perd dans les multiples sommets encore parsemé de neige qui se dessinent jusqu'à l'horizon. Le soleil de la fin de matinée est compensé par un agréable petit vent et la température est idéale. Des "chipmunks" (sortes de petits écureuils) courent sur les rochers et viennent même renifler jusqu'à nos mains pour chercher de la nourriture.

Après l'effort de la montée, je pourrais passer toute l'après-midi étendue sur la roche blanche à me chauffer au soleil comme un reptile. Mais, suivant les autres, je me décide tout de même à redescendre. Pour moi, la descente ne représente pratiquement aucune difficulté par rapport à la montée. Cette fois, pas de problème pour suivre le rythme. C'est moi qui attend régulièrement Seb dont le regard suspicieux se pose sur chaque cailloux où il se décide à mettre le pied. Une fois en bas, on va déjeuner dans un café voisin (repère de hikers) avant de dire au revoir à Leigh et Spring qui doivent aller travailler.

L'après-midi, nous nous rendons sur leurs conseils à Alice Lake un peu au nord de la ville. Là bas, on peut nager dans l'eau fraîche du lac et se reposer sur l'herbe (si on arrive à éviter les crottes d'oies). Il y a une ambiance estivale sur la petite plage : familles,  matelas gonflables,  ballons et bambins. En rentrant au camping, on prend le temps d'aller admirer de plus près les Shannon Falls et on cueille des mûres sauvages.

Le soir, après un burrito géant et des enshiladas pris à un fast food mexicain  (là aussi sur recommandation), on rentre faire un feu et griller des chamallows. L'air est beaucoup plus sec que sur Vancouver Island et on trouve du petit bois facilement  (on s'est aussi amélioré en hache). Notre feu demande encore pas mal d'entretien au démarrage mais fini, enfin, par vivre sans notre aide. Je reste longtemps dans la nuit à profiter de sa chaleur. Anecdote amusante : nos voisines de camping sont les deux canadiennes avec qui on a partagé la balade à Tofino. On va se coucher alors que le feu grésille encore. Demain, on replie la tente et on part vers les rocheuses.