Carriacou

C'est à nouveau Richard que nous retrouvons pour nous rendre à Carriacou le vendredi. Il nous faut d'abord passer l'immigration car nous quittons Saint-Vincent et les Grenadines pour nous retrouver sur le territoire de la Grenade. Puis nous voilà avec tous nos bagages dans la petite barque bigarrée. Hier, nous avions été secoué mais étions restés au sec. Aujourd'hui le vent a tourné. Assise à l'arrière du bateau, je me retrouve sous une constante douche d'eau de mer. Entre le vent et l'eau, je ne vois absolument rien. J'ai les yeux fermés, la visière de mon chapeau trempé est collée à mon visage. Quand, enfin, je peux lever la tête, nous arrivons aux abords de Carriacou et nous sommes entourés de magnifiques voiliers. Nous longeons la côte sauvage percée de criques de sable blanc et rejoignons la petite ville de Hillsborough. En sortant de la barque je pourrais tout aussi bien prendre un bain toute habillée que ça ne changerait pas beaucoup mon état. Mais avant de rejoindre l'hôtel, il faut à nouveau passer les formalités d'entrée dans le pays. On pourrait penser que c'est à la douane que nous serions le plus embêtés : chaque touriste étant susceptible d'emporter dans son sac un coquillage protégé ou autre souvenir du même genre. Mais non, c'est à l'immigration que l'on nous regarde avec suspicion, nous posant des dizaines de questions sur notre voyage. Mais quand nous apprenons à notre inquisiteur que nous logerons bientôt à Crochu, il devient d'un seul coup beaucoup plus aimable : c'est sa ville natale. Il connait l'hôtel que j'ai réservé, et nous explique en détail comment prendre le bus.

Pour l'instant, nous sommes au Kim's Plazza. Nous trouvons une chambre propre et fraiche avec une petite cuisine, un balcon et une climatisation en état de marche. Nous pouvons nous reposer un peu et profiter de ce confort que nous n'avions pas eu dernièrement. Nous ressortons plus tard pour aller à la plage. Nous l'avons vue du bateau, belle et blanche, juste à côté du port. Quand je dis port, c'est un mot un peu trop important pour décrire la réalité de la chose. Dans toutes ces petites îles, le port n'est qu'une jetée en bois qui s'avance dans la mer. Les bateaux viennent y déposer les voyageurs, mais s'ancrent ensuite plus loin dans l'eau calme et peu profonde de la baie. La plage part de la jetée et continue jusqu'au sud de la ville, quelques maisons et hôtels donnent directement dessus. Nous nous installons à l'ombre et nous baignons près des barques paresseuses peuplées de grands oiseaux.

Le soir, nous partons nous promener dans la ville. Venant de Union Island, Hillsborough nous parait grande et peuplée. Pourtant, elle n'est formée que de la longue rue qui longe la plage et de quelques autres parallèles plus petites. On est vendredi soir et la ville semble s'animer. Une musique tonitruante se déverse dans les rues et des gens dansent un peu partout. Mais la fête qui semblait si gaie depuis l'hôtel nous parait triste à présent. Nous ne croisons que des groupes d'hommes éméchés qui se dandinent dans le bruit. Où sont les filles ? Toutes celles que nous voyons ont les bras encombrés d'un bébé ou de plusieurs. Peut-être les jeunes filles se préparent-elles pour le concert qui semble se préparer ? Je regrette un peu les aguicheuses Sainte-Luciennes du carnaval. Nous mangeons de délicieux roties dans un minuscule bar où l'on vend des DVD gravés de films américains. Les roties sont de grosses crêpes fourrées à la viande, c'est un plat local très commun dans le sud caraïbe, ça coûte une misère : nous sommes visiblement sortis de la route à touristes. Nous n'avons pas la patience d'attendre que le concert commence et rentrons à l'hôtel. Plus tard, la musique vient frapper nos fenêtres de son tintamarre assourdissant. Elle troublera notre sommeil agité jusqu'au petit matin...

Le samedi, nous décidons d'aller nous balader sur l'île. J'ai repéré une plage dans le guide un peu au nord de la ville, il faut prendre le bus. Ici, les bus sont numérotés ce qui facilite un peu l'orientation. Mais j'appréciais aussi les bus de Saint-Vincent, personnalisés par les chauffeurs de tags et peintures diverses et où la musique balançait les passagers au rythme de la route : Reggae ou chant religieux. Le bus part rapidement mais fait tout le tour de la ville pour attraper des passants et des marchandises et quand nous la quittons réellement, nous sommes serrés comme des sardines. Le voisin de Sébastien est un jeune homme déjà bien imbibé par l'alcool et qui tient absolument à nous faire la conversation. Nous le convainquons gentiment que nous n'avons pas besoin de lui pour nous guider à Carriacou. Cependant, heureusement que l'autre voisin a compris où nous voulions aller car c'est lui qui arrête le bus et nous dit de descendre au bon endroit.

Nous marchons le long d'une route de terre encore humide de pluie. De gros lézards traversent furtivement : ce sont en fait de jeunes iguanes, on peut le savoir à la façon dont ils se déplacent. Mais les lézards n'ont rien d'inquiétant, ce dont il faut se méfier ce sont les horribles scolopendres qui apprécient l'humidité. Ces bêtes immondes peuvent vous piquer et vous rendre malade plusieurs jours. Nous marchons en faisant du bruit et en regardant nos pied. Il faut à peu près 3/4 d'heure pour rejoindre la plage et à la fin, le chemin traverse un bout de forêt. Mais ici, c'est une forêt de petite île côtière, rien à voir avec la "rain forrest" dans laquelle nous nous sommes promenés d'autres fois. La végétation est beaucoup moins dense, parfois un peu sèche et peuplée de cactus. La plage pourrait sortir d'un film, longue étendue de sable, sauvage et blanche comme un écrin doré. C'est ici que des tortues viennent pondre leurs oeufs mais nous n'en verrons pas aujourd'hui. Nous ne sommes pas seuls, un yacht luxueux est venu déposé une flopée de pinups qui se font griller au soleil. Des barques pleines de jeunes hommes du coin semblent attirées comme des mouches et profitent du spectacle. Au moins, face à ces créatures, Reb et moi passons inaperçues et ne sommes pas embêtées. Les jeunes femmes semblent indifférentes à l'engouement qu'elles engendrent. Leur présence ne nous empêche  en rien de profiter de la plage et je me laisse emporter par la beauté du rocher peuplé de grands pélicans. En nageant avec le masque, je verrai les bancs de poissons secoués par les courants et filer par millier juste en dessous de moi.

Le chemin du retour se fait plus rapidement que je ne l'avais pensé. La terre est plus sèche et nous avons moins peur des scolopendres. Nous croisons des chèvres hébétées et l'air sent presque le sud de la France. Nous attendons le bus et croisons une voiture qui nous dépose en ville pour le même prix. Mais alors que nous rachetons quelques courses et que nous nous apprêtons à rentrer nous reposer et nous rincer du sable et du sel, voilà le début d'une galère qui commence. Le gérant de l'hôtel nous appelle à la réception et nous apprenons que nous n'avons plus de chambre. Il y a eu plusieurs changements dans nos plans. Au départ, nous aurions dû passer les nuits du jeudi et du vendredi à Carriacou, puis le temps nous a poussé à prolonger notre séjour à Union et j'ai écrit pour dire que nous n'arrivions que le vendredi et ne prendrions qu'une nuit. A ce moment, je pensais que nous repartirions pour Petite Martinique le samedi. Cependant, nous avons ensuite eu la confirmation qu'il était possible de faire en une journée le trajet entre Petite Martinique et Grenade et nous avons donc décidé de faire : vendredi et samedi à Carriacou, dimanche et lundi à Petite Martinique. Mais ça, nous ne l'avons décidé que la veille. La réception de l'hôtel étant à l'intérieur d'un supermarché, je ne l'ai pas vue en arrivant et c'est une jeune femme qui nous a donné la clé. Plus tard, la réception était fermée. De toutes façons, comme partout où nous avons été avant, les hôtels étaient vides, je ne pensais pas que ça posait le moindre problème. Ce matin, on nous a demandé s'il fallait faire la chambre, j'ai répondu que non, et que nous restions encre une nuit. Visiblement, l'information n'est par remontée mais de toutes façons, c'était trop tard, la chambre était déjà réservée et l'hôtel plein ! Nos affaires ont été déménagées d'office et nous sommes à la rue.

Nous parcourons les rues de Hillsborough, fatigués et hagards, cherchant une chambre dans un autre hôtel. Bientôt, nous découvrons le pot aux roses : il y a un festival de musique ce week-end dans la ville, tous les hôtels sont pleins. Je comprends mieux le problème posé par la nuit supplémentaire mais notre situation vire au dramatique ! Il reste d'autres hôtels sur l'île, mais ils sont plus chers et plus loin. Je n'ai pas changé la réservation à Petite Martinique car je ne pouvais pas contacter l'hôtel, ils nous attendent donc en théorie ce soir, mais c'est une autre île ! Le bateau régulier est parti ce matin, il reste les waters taxis. Nous nous rendons sur le port et trouvons un jeune homme, une bière à la main qui veut bien nous emmener. Nous lui donnons rendez-vous un peu plus tard et retournons chercher nos affaires.

Nous avons quitté notre chambre ce matin en pensant la retrouver ce soir et nos affaires étaient donc éparpillées un peu partout selon une logique qui nous était propre. Elles ont été rangées par des mains étrangères ce qui ne nous rassure pas. Nous vidons nos sacs dans le couloir de l'hôtel, nous avons l'air de vagabonds avec nos sacs plastiques et nos vêtements par terre. Finalement, l'essentiel est là et nous rangeons comme nous pouvons. Il nous manquera un shampoing et un savon mais rien d'important (en particulier, nous avons tous nos appareils photos, ordinateurs, passeports et argent). Nous retournons au port avec toutes nos affaires, Seb part chercher l'homme que nous avons vu tout à l'heure tandis que nous l'attendons. C'est cette image que je garderai de Carriacou : nos sacs posés négligemment sur la jetée dans la lumière du soir, les enfants qui jouent et s'éclaboussent sur les barques, la fête qu'on entend dans la ville,  et nos corps un peu las et perdus, attendant la suite.

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Union Island et Tobago Cays

Notre bateau part de Saint-Vincent le mardi 26 à midi. Nous sommes arrivés à l'avance car l'heure n'avait pas l'air très claire et nous voulions être sûrs de trouver le bateau. Il est déjà là à 10h30, des hommes s'affairent à y charger des marchandises. Nous rejoignons la petite salle climatisée qui accueille les passagers et tuons le temps en jouant au tarot. Finalement, il ne quitte le port qu'après 13h. Nous doublons l'île de Bequia et celle de Mustique apparait sur notre gauche. Au loin, Canouan est déjà bien visible. Le lent balancement des vagues ne nous permet que deux activités : regarder le paysage ou dormir. Je pratique les deux car même si ma préférence va à la première, on se lasse vite. En effet, si hier le bateau m'a paru lent, aujourd'hui c'est pire encore et la lointaine côte de Canouan semble ne jamais vouloir se rapprocher. En me promenant dans le bateau, je découvre qu'il vient en fait de Norvège car il y a au mur des cartes des fjords et des instructions en norvégien.  Enfin, nous atteignons Canouan mais il faut encore être patient car nous continuons jusqu'à Union Island que l'on voit maintenant très proche.

Le bateau reste bien une heure et nous ne quittons l'île qu'après 18h. Je sors sur le pont pour profiter de la vue lors de cette dernière partie du voyage. Dans la lumière du soir, les îles se dessinent, magnifiques sur l'océan. Le vent me frôle à peine ce qui prouve bien que nous allons à une lenteur accablante. Je croise des français et j'apprends avec désespoir que l'on s'arrête encore à Mayreau. Le soleil se couche alors que nous abordons la petite île joliment entourée de plage. Nous pensons arriver au bout de nos peine et Union n'est qu'à quelque brasse. Mais il nous faut attendre encore. Le bateau que nous avons pris n'est pas l'express habituel réservé aux voyageurs, c'est un bateau de marchandise et il doit charger et décharger les provisions dans chaque île. A Mayreau, les hommes passent des heures à tirer des blocs de ciments avec une pelleteuse tout à fait inappropriée. Il fait complètement nuit quand nous arrivons à Union, il est tard, nous avons faim et nous sommes épuisés.

Notre auberge est près du port, elle a un aspect à la fois gai et délabré. Son petit restaurant est coloré et nous mangeons en écoutant malgré nous une vieille compilation des Backstreet Boys. Les murs sont peints de poissons et d'inscriptions joyeuses, le sol recouvert de carreaux colorés, au plafond pendent des affiches de marques de Rhum. L'homme qui tient l'auberge s'appelle Lambi, c'est un grand et gros mastodonte au visage gentil et poupin. La femme qui s'occupe du restaurant a des cheveux défrisés, coupés au carré et teint en une espèce de violet, ses vêtements brillent de la couleur des fêtes mais la salle est moitié vide et son visage exprime la lassitude désabusée. Les murs de notre chambre semblent s'effriter dans l'humidité du port et nous voyons les bateaux depuis notre fenêtre. Il fait trop chaud et la clim fonctionne mal. Plusieurs fois, nous aurons à tuer de gros cafards de ceux que l'on voit parfois sous les tropiques.

Le lendemain, le temps est plus nuageux que d'habitude et assez venteux. Nous prenons notre petit déjeuner au Capitaine Gourmet, petite boutique-bar tenue par une française. Une énorme averse éclate, nous coulant dessus à travers l'auvent. Nous ne devons rester à Union qu'une seule journée et nous voulions aller aux Tobago Cays, des petites îles magnifiques et inhabitées. Nous avons rendez-vous à 10h avec un bateau. Mais la française nous explique que nous sommes sous l'influence d'une onde tropicale et qu'il risque de pleuvoir toute la journée. Dépités, nous ne savons que faire. Nous voudrions prolonger d'une journée notre séjour et ne quitter l'île que vendredi mais la navette ne part que les jeudis et lundis. Finalement, nous discutons avec propriétaire du bateau : il nous emmènera demain aux Tobago Cays et peut nous servir de "Water Taxi" vendredi pour aller à Carriacou, ça nous coûtera plus cher que prévu mais tant pis.

Nous avons donc une journée de libre pour visiter Union Island. Le temps se découvre un peu et nous nous baladons dans la ville. Elle est à l'échelle de l'île, c'est à dire toute petite. Ce ne sont que quelques boutiques et maisons posées près du port le long de l'unique rue. Il y vit toute une communauté française, une trentaine en tout, ce qui représente une forte proportion de la population. Ils se connaissent tous et sont là depuis plus de vingt ans. Ils vivent des touristes et du temps qui passe, coulant des jours tranquilles sur leurs bateaux. Il y a aussi beaucoup de touristes français au point que les restaurants traduisent leurs menus et leurs affiches. Il faut dire que Union Island est l'île la moins chère des Grenadines, elle est un peu en dehors des circuits touristiques. Son aspect négligé tranche par rapport aux rues pimpantes et pourléchées des autres îles. Les baroudeurs et autres routards y trouveront plus leur compte que dans les resorts laissés aux riches américains. J'aime l'ambiance de paradis perdu qui s'en dégage. Tout semble ici aller plus lentement, rien n'est véritablement important et on oublierait facilement le reste du monde. Nous marchons vers une plage de l'autre côté de l'île. Perdus, le chemin que nous prenons traverse une sorte de décharge. Mais bien vite, nous retrouvons la route goudronnée entourée d'une douce végétation. L'île est sauvage mais le monde végétal y est moins exubérant que sur ses grandes soeurs. On voit de l'herbe, des vaches, des arbustes et aussi des figuiers de barbarie. Tout comme les gens, la végétation semble calme et paisible. Nous arrivons à la plage, nous sommes seuls sur le sable blanc. Le ciel brumeux nous arrose de sa pluie tropicale, les petits pavillons blancs sont vides car c'est la basse saison. L'impression de bout du monde est plus forte que jamais. Le soir, nous dinons dans un restaurant tenu par une française avec un grand aquarium et la mer, sombre dans la nuit, comme toile de fond.

Le jeudi, il fait encore assez nuageux mais cette fois, nous partons tout de même. L'homme qui nous conduit aux Tobago Cays s'appelle Richard, c'est un rasta entre deux ages qui possède une petite barque à moteur qu'il a peinte de rouge, jaune et vert. Elle s'appelle "Jah live" (Jah est le nom que les rastas donnent à Dieu). A chaque fois que nous devrons monter ou descendre dans cette barque, il nous faudra faire des acrobaties qui nous laisseront parfois des éraflures. Mais Richard, toujours très prévenant, nous aidera de son mieux et jamais ni nous, ni nos sacs ne tomberont à l'eau. La barque part en direction des Cays. Si j'ai trouvé les autres bateaux lents, aujourd'hui c'est différent. Nous bondissons à une vitesse effarante à l'assaut des vagues. Elles semblent n'être que des bosses sur une route invisible et mes sursauts à l'arrière du bateau me rappelle la Mongolie. La petite barque s'envole et retombe tandis que nous nous accrochons de toute nos forces à la rambarde pour ne pas sauter trop haut ou trop brutalement. L'eau part en gerbes blanches de part et d'autre du bateau et le vent nous ferme les yeux. Alors que nous nous rapprochons des Cays, l'eau devient turquoise et les vagues cessent. Ca ne ralentit pas Richard et j'ai l'impression d'être sur un bolide qui fonce comme un forcené entre les yatchs et les voiliers immobiles. Nous voilà, petite flèche folle et colorée dans ce monde paisible.

Richard nous dépose sur une plage, une avancée de sable au bout d'une petite île. Nous prenons nos masques et tubas et allons observer les profondeurs. Ici, pas de rochers et le fond de l'eau ressemble à des prairies sous marines dans lesquelles se baladent de petits poissons. Et d'un seul coup, apparait le bel animal. On nous a dit que allions nager avec des tortues mais nous ne voulions pas y croire totalement. Même quand Richard nous pointait des formes noires dans l'eau en disant "Voilà une tortue", je pensais : "Mais les verrai-je, moi, quand je nagerai tout à l'heure ?". Si bien que même prévu, le miracle n'en est pas moins beau. Les tortues sont énormes, leur carapace fait bien 50cm de diamètre. Quand nous en voyons une, nous nageons calmement au dessus d'elle pour ne pas l'effrayer et pouvons l'observer à notre guise pendant plusieurs minutes. Elle se contente souvent de brouter l'herbe avec sa grosse tête et parfois nage à la surface pour respirer rapidement. Il est incroyable de voir comment ces animaux qui ont l'air si patauds deviennent gracieux dans l'océan. Elles déplacent leurs longues nageoires avant comme de lentes ailes et semblent voler, mouvant leur lourd corps avec souplesse et facilité. Le spectacle est fascinant et nous devons nous forcer à les laisser partir quand elles s'éloignent un peu trop de la rive. Leur carapace est jaune oranger avec du brun et du vert, mais je trouve encore plus belle la peau qui leur couvre la tête et les pattes.Elle semble formée de petites formes géométriques noires et jaunes qui s'imbriquent tel un puzzle, le dessin en est compliqué et amusant. Nous nageons longtemps avec les tortues avant de sortir de l'eau. Nous nous baladons ensuite sur la toute petite île. Dès que l'on quitte la page, on est dans le monde des oiseaux qui s'envolent à chacun de nos pas. Nous croisons aussi un iguane au milieu des cactus.

Richard revient nous chercher et nous emmène sur une seconde île où il y a des tables à l'abri où nous pouvons pique-niquer. Ca tombe bien, car il pleut. Après le déjeuner, la pluie a cessé et nous pouvons à nouveau nous baigner et observer les poissons. Le monde sous marin est plus beau que jamais et je ne me lasse pas de ces voyages sous l'eau. Seb voit même une raie, nous en verrons une autre au moment de partir depuis le bateau : elle est grise et gigantesque et l'on préfère finalement ne pas l'avoir croisée pendant la baignade. Nous nous baladons encore sur l'île, il y a les petits oiseaux noirs avec qui nous avons partagé notre pain, il y les gros crabes dans leurs trous de sable, il y a les hautes herbes qui nous effraient, il y a les serpents et autres bêtes que nous ne voyons pas mais dont la présence cachée nous fait peur. Nous quittons l'île un peu après 14h, le soleil est revenu mais Richard a peur que le ciel ne se couvre et préfère se rapprocher de chez nous. Il nous dépose à Palm Island, juste en face de notre île, Union. C'est une île resort qui appartient à un hôtel où nous passons pour des intrus. Nous sommes dans un autre monde, ici les prix sont en US dollars et la plage de sable blanc est ratissée avec soin : pas de fruit pourri, de branches mortes ou de fourmis mal venues. Sur les espaces verts, se promènent de gros Iguanes et nous pouvons les observer mieux que sur les îles sauvages. Ils sont peureux et s'enfuient dès que l'on veut s'approcher mais nous les regardons de loin, abasourdis par leur allure préhistorique. Les plus gros surtout, ceux qui sont brun clair, rayé de noir et qui déploient leur crête punk sur leur tête rasée. La plage est vide et nous nous baignons dans l'eau claire. Le gardien regarde d'un oeil torve le sac que nous avons posé sur un banc à l'ombre car les chaises longues et toutes les installations sont réservés aux absents clients de l'hôtel.

Pour notre dernier soir à Union Island, nous trouvons un très agréable restaurant local. Nous désespérions un peu car si beaucoup étaient annoncés, ils étaient tous fermés. Ici, nous sommes les seuls touristes et d'ailleurs les seuls clients mêmes si certains habitants viennent chercher des plats à emporter. Les dames sont charmantes et nous servent un curry de chèvre avec des légumes pays (riz, bananes et patate douce) ainsi qu'un délicieux jus de fruit. Malheureusement, en fin de repas, je fais une esclandre en jouant malgré moi un grand numéro de malade assez impressionnant. Voilà ce qui s'est passé : le ciel a été nuageux une bonne partie de la journée et m'a incitée à l'imprudence. Dès le premier rayon, j'ai remis de la crème mais il était trop tard. Vicieusement, car je ne l'ai pas senti, le soleil m'a brûlée. Mes coups de soleils ne sont pas très importants mais ils recouvrent une partie importante de mon corps et l'échauffement de ma peau dérègle mon fonctionnement général, créant ces impressionnantes insolations. Mais heureusement, l'épisode est limité et le lendemain, je me sens parfaitement bien. Le soir même par contre, je rentre à l'hôtel et m'effondre comme une masse. Mais malgré l'insolation, malgré l'onde tropicale, malgré l'auberge délabrée et les cafards, j'ai aimé Union Island, j'ai été touchée par son charme étrange et désuet, par cet air de bout du monde. Demain, nous prendrons à nouveau un petit déjeuner au Capitaine Gourmet : yahourt maison et croque monsieur, servis par notre hôtesse avec sa voix de marin et sa peau blanche tirée par le soleil.

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Bequia

Pour notre dernière journée à Saint-Vincent, nous partons visiter l'île de Bequia. Nous connaissons maintenant bien le chemin jusqu'à l'arrêt de bus et sommes habitués à ces petits vans surpeuplés qui transportent les locaux et touristes courageux pour 1 EC dollar. Le bateau pour Bequia s'appelle "express" mais avance lentement et met plus d'une heure pour rejoindre l'île. Nous longeons la côte sauvage avant d'apercevoir les maisons toutes installées à l'intérieur d'une baie. Descendus du bateau, nous sommes assaillis par les chauffeurs de taxi et nous dirigeons vers l'office du tourisme, petite maison à la sortie du port.

Nous avons finalement pris un taxi, nous traversons la jolie île pleine de verdure, croisant des vaches et des hôtels. Le taxi nous dépose au "sanctuaire des tortues", la plage n'est pas loin, il reviendra nous chercher cette après-midi pour reprendre le bateau. Un vieux blanc à la peau tannée vient nous accueillir. C'est lui qui gère l'endroit et on le sent plein d'une tendresse paternelle pour la moindre de ses tortues. Il récupère les bébés tortues encore vulnérables sur la plage pour les élever et les relâcher au bout de quelques années quand ils ont atteint une taille raisonnable et échapper aux dangers de la prime jeunesse. Les tortues sont installées dans des bassins en fonction de leur taille. Les plus petites ne font que un ou deux centimètres de diamètre, les plus grandes plusieurs dizaines. C'est avec de la peine que l'homme nous montre les tortues qu'il ne pourra pas remettre à l'eau : à l'une, il manque une patte, l'autre a une déformation, elles n'auraient aucune chance dans l'océan. Avant de relâcher ses bêtes, il leur fait une petite marque sur la carapace : deux petits trous au niveau de la queue. Les plongeurs peuvent alors lui dire chaque fois qu'ils en croisent une et son rêve est d'en voir revenir une sur la plage pour la ponte.  Nous observons encore les grandes bêtes avant de partir, leur tête qui ressemble à un bec est impressionnante, elles ne semblent pas toujours de bonne humeur et c'est avec prudence que je leur touche la carapace.

Nous marchons jusqu'à la jolie plage qui borde ce côté de l'île. Nous nous installons à l'ombre d'un cocotier près d'un bar fermé pour la basse saison. Il n'y a personne d'autre que nous. Au loin, les vagues de l'océan semblent se briser en entrant dans la baie, sans doute arrêtées par des rochers sous marins. La mer devant nous ressemble à une aquarelle qui aurait été peinte en grandes lames avec deux teintes de bleu : l'un plus foncé et l'autre turquoise. Alors que nous mangeons nos sandwichs, j'aperçois un grand oiseau se poser sur l'eau. C'est un pélican. Ils sont en fait trois. Ils passent la majeure partie de leur temps à se reposer sur un petit bateau. De temps en temps, ils volent dans le ciel avant de piquer vers les flots. Ils ne sont pas les seuls à pêcher et c'est impressionnant de voir tous ces oiseaux fondre d'un seul coup vers la mer, plonger et ressortir avec un poisson dans le bec. Nous n'avons pas la chance de pouvoir observer les poissons car l'eau est troublée d'algues et on ne voit rien avec le masque. Cependant, le lieu n'en est pas moins paradisiaque et l'après-midi coule doucement.

Le taxi revient nous chercher et nous montons à l'arrière de sa camionnette : le visage au vent, protégés simplement du soleil par son petit auvent. Nous avons encore un peu de temps avant de reprendre le bateau et nous nous baladons dans la petite ville de Port-Elisabeth. Les boutiques colorées se suivent le long de la mer, comme déposées au hasard des vagues, illuminées par le soleil. Dans un marché aux fruits, nous achetons des bananes et un avocat. Mais c'est un peu plus loin que nous prenons notre goûter. Un homme nous propose des noix de coco. Depuis que j'ai goûté l'eau de coco, les autres boissons me semblent avoir perdu leur attrait. L'homme coupe le haut de la noix encore fraiche avec un coutelas. Le fruit se transforme alors en coupe géante emplie de son jus. Il faut savoir que la noix fraiche ne ressemble pas du tout à celle que nous avons chez nous. Elle est beaucoup plus grande, de couleur jaune et de forme ovale comme un ballon de rugby. Son cœur n'a presque pas de chaire  : en séchant, la noix perd son eau et dépose sa matière blanche le long de sa coque.  L'eau que l'on boit dans la noix fraiche est très désaltérante, on l'appelle eau et non pas lait car elle n'a pas cette texture crémeuse qu'on lui connait par la suite. Elle est d'une douce tiédeur, d'un goût très délicat, sucré et fruité. Une fois la noix bue, l'homme la fend en deux avec son coutelas et l'on peut racler la très fine chaire blanche, un peu caoutchouteuse, qui a déjà eu le temps de se déposer. L'ensemble forme un met si délicieux, naturel et doux qu'il me fait passer l'envie d'une glace ou tout autre chose qui paraitrait alors artificiel.  Nous retournons au bateau et quittons la jolie Bequia.  Ce soir, nous dormons à nouveau à Saint-Vincent avant de continuer notre voyage.

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