Nous arrivons à Tokyo le mardi matin après 2 avions et plus de 12h de voyage. A moitié endormie, dans le Narita express qui m'emmène de l'aéroport à la ville, je regarde défiler la campagne ou quelques indices m'indiquent déjà que je ne suis plus en Europe. Puis voilà les grands immeubles, l'urbanisation galopante et la station de Shibuya où nous descendons. Il fait très chaud, il y a beaucoup de monde. Nous retrouvons l'amie qui doit nous loger. Elle est européenne et vit à Tokyo avec son compagnon, européen lui aussi. Elle parle un peu japonais et nous laisse dans un taxi à qui elle a donné des instructions. Après 1/4 d'heure, nous voilà abandonnés sur le bord de la route, errant épuisés, cherchant le bon immeuble. Enfin nous y voilà, et apprécions le confort de la climatisation, d'une douche fraîche et d'un lit où se reposer.

L'appartement est beaucoup plus grand que ce que j'imaginais, très spacieux pour un appartement tokyoïte. Nos amis viennent tout juste de s'y installer, avant cela, ils logeaient dans un studio minuscule. Plus tard dans l'après-midi, encore accablés par le décalage horaire, nous sortons découvrir un peu les alentours. Quand nous sommes arrivés le ciel était bleu et brûlant, il est maintenant couvert d'un lourd nuage et l'air est humide et étouffant. Nous ne sommes pas dans un lieu touristique mais plutôt dans une banlieue résidentielle. Des mignonnes petites rues se croisent bordées d'immeubles à 2 ou 3 étages ou de petites maisons. L'architecture est moderne mais dans la forme des toits, dans les jardins, dans l'aspect global la touche asiatique est évidente. On croise des petits garçons sur des vélos en tenue d'écolier, des "mamans" qui rentrent elles aussi à vélo avec des sacs de provisions. J'ai l'impression d'être dans un film (je regarde beaucoup de films japonais). Quelle drôle de sensation de passer ainsi sans transition de l'Europe à l'Asie, d'être plongée dans un monde nouveau. Car le voyage en avion, bien que très long, n'est pas une transition, c'est un temps suspendu dans un univers à part et indépendant du reste du monde.

Evidemment, nous nous perdons. Heureusement, nous connaissons l'adresse et comprenons assez rapidement la logique de l'organisation. Il n'y a pas de noms de rues, mais chaque quartier est divisé en bloc qui portent des numéros, à l'intérieur de chaque bloc, les immeubles ont à leur tour un numéro. C'est en fait très pratique, car des noms de rue en japonais nous auraient compliqué la tâche. Dans la soirée, nos amis rentrent et nous sortons ensemble pour dîner. Il est assez agréable d'être accueilli dans une ville telle que Tokyo, cela permet de s'habituer petits à petits à la culture, aux habitudes car on peut être vite (très vite) complètement dépassés. Ils nous emmènent dans un petit restaurant près de la station de train la plus proche. La station est un peu après l'endroit où nous nous étions arrêtés cet après-midi. Le quartier change, les rues sont plus animées on voit de nombreuses boutiques, des bars et des restaurants. Dans celui où nous allons, il faut enlever ses chaussures à l'entrée comme souvent ici. Le sol est en bois, surélevé, et les tables sont installées dans des trous circulaires autour desquels on s’assoit. On ne commande pas un plat chacun mais plein de petits plats que l'on partage. Je goûte le "cheese tofu", du tofu qui ressemble à s'y méprendre à du fromage blanc, servi avec du miel et des amandes.

Comme nous avons refréné notre envie de dormir toute la journée, nous nous écroulons le soir comme des masses et ainsi remis du décalage horaire, sommes prêts le lendemain à aller visiter la ville.  Nous restons cependant très modestes dans nos ambitions, la chaleur étant très importante et notre connaissance des lieux très limitée. Nous nous sentons ainsi complètement démunis à la station quand nous essayons de comprendre quel train nous devons prendre. Nous ne sommes pas dans une station de métro mais plutôt dans l'équivalent du RER. Il est difficile de trouver un plan global, de comprendre les directions, les intersections. Tout est transcris en anglais (heureusement) mais reste très obscur pour nous, pauvres étrangers. Assez miraculeusement cependant, nous réussissons à prendre les deux trains qui nous emmènent à la station de Harajuku.

Nous commençons notre découverte de Tokyo par ce qui peut sembler le plus extrême de la culture nippone. C'est en effet à Harajuku que l'on trouve la jeunesse la plus chic et débraillée de la ville. Ici, les japonaises ont les cheveux teints en blond (ou en en rose) et se couvrent le visage d'un maquillage de poupée barbie. Leurs robes semblent tout droit sortie d'un film de Disney, elles sont des collants colorés et des petits nœuds. Nous traversons la rue de Takeshita où l'on peut voir des boutiques pour "lolita gothique" ou autre bizarrerie de ce genre.  C'est dans cette rue que je commence à avoir faim et que se pose donc le problème de trouver un endroit où manger. Il fait très chaud et je n'ai pas très envie d'un "vrai repas" plutôt de quelque chose à grignoter. Je vois un panneau "food hall" et nous entrons donc dans un bâtiment.

Là, nous vivons un authentique moment "lost in translation", nous sommes dans une espèce de maison de poupée géante : tout est peint en rose et blanc, sur des écrans, des jeunes filles chantent des chansons dans ces mêmes teintes et même celles qui sont présentes devant nous ressemblent à des poupées. Il y a des stands de nourriture qui vendent des crêpes recouvertes d'aliments sucrés et colorés et de crème chantilly. Un stand cependant propose quelque chose qui ressemble à des boulettes de pain au fromage et nous commandons donc à nos risques et périls. J'ai déjà de gros doute quand en voyant le serveur ajouter tour à tour ketchup, mayonnaise et autres sauces tout aussi dégoûtantes à mes yeux. Je regarde ensuite avec suspicions la grosse boule ronde et bizarrement colorée qui est présentée devant moi. Au départ, cela semble plus ou moins mangeable car il y a un oeuf sur le dessus et que, malgré tout, le goût est donc toujours celui de l'omelette. Mais voilà que je découvre à l'intérieur une pâte verdâtre et en goûtant du bout des lèvres j'ai du mal à refréner le haut le coeur qui me vient. Non seulement, ça a le goût du poisson (ce qui pour moi suffit à rendre immangeable ) mais je crois que même sans cela, c'est tout simplement immonde. C'est le pire mélange culinaire des cultures nippones et américaines. Sébastien n'est pas capable d'aller beaucoup plus loin que moi, nous jetons discrètement la nourriture et nous enfuyons de la maison de poupée.

Nous revoilà dans la rue. Après cette expérience, j'envisage sérieusement de jeûner pour l'ensemble de mon voyage au Japon. La faim que je ressentais s'est transformée en vague nausée que la chaleur étouffante n'arrange pas. J'ai besoin de me nourrir mais, encore plus que tout à l'heure, la grande majorité des aliments me parait repoussante. Heureusement, nous arrivons sur la grande avenue Omote sando, équivalent local des Champs Élysées. Là nous entrons dans un café "bio chic" où je commande un sandwich végétarien (ne prenons plus de risques inutiles) à l'avocat et un jus de fruit qui me réconcilie avec la nourriture. Assis à l’abri de la chaleur, requinqués par notre repas, nous pouvons essayer de nous repérer sur nos plans, essayer d'aborder la ville immense qui nous entoure. Tokyo me semble alors un monstre géant où il faut nous débattre. Tout semble incompréhensible, gigantesque, grouillant de foule, de chaleur et de signes illisibles (car le japonais n'est pas très lisible). Mais nous ne perdons pas espoir et petit à petit, espérons comprendre quelque chose de cette immense mégalopole.

Nous nous promenons sur l'avenue Omote sando où l’excentricité de la rue Takeshita a été remplacée par les boutiques de luxe internationales dans lesquelles nous entrons parfois pour profiter de la climatisation. Au bout de l'avenue, nous découvrons le parc du sanctuaire Meiji.  La végétation apporte une fraîcheur salutaire mais j'avais espéré une clairière où me reposer et je ne trouve que de grandes allées sans même un banc ou s'asseoir. C'est complètement épuisée que je m'écroule sur le premier que je trouve à l'intérieur du sanctuaire, accablée de chaleur et de fatigue. Nos efforts pour la journée ont été suffisants et nous revenons assez vite vers la station pour rentrer chez nous. Mais nos peines ne sont pas terminées car comprendre quel train prendre dans l'immense gare de Shinjuku relève de l'exploit. Nous restons parfois plusieurs minutes devant un panneau cherchant à tirer du sens de l'information présentée devant nous. C'est donc avec soulagement et bonheur que nous retrouvons l'appartement, have de paix et de fraîcheur dans la grande ville. Le soir, comme la veille, nous n'avons qu'à suivre nos amis et les laisser commander au restaurant, profitant de leur expérience du pays et nous reposant sur nos lauriers...