Lorsque nous quittons la petite ville de Tracy dans la lointaine banlieue de San Francisco, cela fait déjà trois semaines que je suis aux Etats-Unis. J'ai passé une semaine à Chicago pour une conférence, quelques jours à Austin, puis je suis passée par Portland et j'ai rejoint Seb à Seattle avant de redescendre à San Francisco. Dans la ville embrumée, j'ai refait avec lui les promenades de l'automne dernier, j'ai vu la baie et l'océan Pacifique. Ce dernier week-end, nous logions chez un collègue au nord de la baie, déjà à moitié dans le désert, bien loin de la fraîcheur océane de la ville. Et là commencent nos vraies vacances : nous avons emprunté une tente, loué une voiture, et partons à l'assaut de ces interminables highways américaines.

Pour notre première étape, nous nous arrêtons à Mariposa, dernière petite ville avant le parc Yosemite. Les plaines, déjà désertiques si près de la baie, se sont transformées en collines desséchées. Nous plantons notre tente dans un petit terrain municipal vert et ombragé où nous discutons des beautés qui nous attendent dans le parc avec nos voisins canadiens. Le lendemain, commence enfin le vrai voyage. Depuis Mariposa, il faut environ une heure pour rejoindre le parc. La route s'enfonce encore plus profondément dans les collines qui se transforment petit à petit en immenses blocs rocheux. Nous longeons une rivière et plus nous nous approchons de l'entrée, plus la vue devient splendide. Le parc est gigantesque mais la zone la plus appréciée des touristes, « la vallée » , se trouve très près de l'entrée où nous sommes. C'est toujours la même rivière, elle coule, sauvage et claire entre les rochers. De part et d'autre : des montagnes de roche blanche, d'abruptes falaises parsemées de séquoias. La vallée elle-même est peuplée de touristes. Il y a plusieurs campings, tous pleins, et les gens se promènent en famille et en vélo au milieu des écureuils qui courent partout. Nous garons la voiture et partons en balade. Nous marchons sur un sentier facile jusqu'à un « lac ». En fait, le lac est sec en cette saison, il ne reste qu'un bassin : piscine naturelle particulièrement agréable et étonnement profonde. Plaisir de nager dans l'eau fraîche au milieu d'un splendide panorama... Autour de nous, les grands séquoias et les falaises blanches qui se découpent sur le ciel comme des peintures abstraites. Nous marchons encore un peu ce jour là, grimpant le début d'une promenade vers des chutes d'eau. Mais nous n'avons pas le temps d'aller jusqu'au bout (et en ce qui me concerne, pas la force). Je ne suis déjà pas très douée pour monter dans la chaleur en temps normal, mais en plus, je me remets difficilement d'une angine et je tousse mes poumons dès que je fais trois pas.

L'après-midi s'est doucement écoulée dans ce charmant paradis. Il est déjà près de six heures quand nous retournons à la voiture. Avant de rentrer, nous voulons nous rendre dans une autre attraction du parc : les séquoias géants. Pour cela, il faut rouler vers le sud pendant bien une heure le long d'une route sauvage qui serpente magnifiquement dans la montagne. Nous voilà arrivés, dans le jour déclinant. A cette heure tardive, il y a encore un peu de monde mais nous avons évité le flot touristique. Comme il est tard, nous n'avons pas le temps de faire la grande balade, on se contente de la petite qui permet tout de même de voir de beaux mastodontes. Les arbres ont entre 500 et 1000 ans, leurs troncs font plusieurs mètres de diamètre montent droits vers le ciel. On admire leur belle écorce ridée, marquée par les années, parfois noircie par les incendies auxquels ils ont survécu. Certains ont succombé et leurs immenses corps carbonisés s'étendent dans la forêt. On ne peut pas s’approcher des arbres encore debout : leurs larges racines sont protégées par de petites barrières, tout semble fait pour ménager ces illustres ancêtres. Les premiers explorateurs n'étaient pas si soucieux, ils ont eu l'idée géniale de creuser des tunnels à travers les troncs ! Le premier arbre qui a subi ce sort n'a pas survécu mais le second est toujours là et sert d'attractions pour les touristes. Sacrifié, il tente de se reconstruire et tient vaillamment debout. Le petit panneau explicatif tente de justifier l'aberration : l'attraction a attiré l'attention sur le parc et joué un rôle dans son classement en temps que parc national... Nous quittons les arbres sous le soleil couchant, croisant deux petites biches au passage !

En théorie, il semblait impossible de camper dans le parc. Il aurait fallu réserver des mois à l'avance ou alors arriver à 8h du matin dans les campings « first come, first serve ». Mais, à présent, nous comprenons mieux la géographie et le fonctionnement du parc et décidons de tenter notre chance. Plutôt que de passer une troisième nuit à Mariposa, nous allons commencer la traversée du parc et tenter de trouver un camping à l’intérieur. Dans « la vallée », tout est plein, ce n'est même pas la peine d'essayer. Mais nous, on souhaite prendre la longue route de montagne qui traverse le parc d'ouest en est et qui est beaucoup moins peuplée. On prend même le temps de faire un détour par le fameux « glacier point » pour profiter de son magnifique panorama : vallée verdoyante, forêts, chutes d'eau, immenses parois rocheuses, ce serait dommage de louper ça. Il est prêt de 14h quand nous prenons enfin la fameuses route. Le premier camping que l'on tente, au bout d'une petite piste chaotique, est plein. Pour le second, il faut rouler un peu plus, puis prendre une autre piste encore plus longue et encore plus chaotique. Mais là, oh bonheur, il y a plein de places ! Nous sommes au « Yosemite creek », en pleine forêt. Les emplacements sont très grands, perdus parmi les arbres, on voit à peine nos voisins. On s'installe confortablement dans notre petit coin sauvage. Les installations sont minimes : des toilettes sèches, pas d'eau potable (on a nos propres réserves). On mange, tranquilles, nos derniers babibels et nos fruits en boite. Les voisins qui peuvent être le plus embêtants sont les ours. On ne les voit pas, mais partout, il y a des panneaux qui nous mettent en garde. Il faut ranger toute la nourriture, ainsi que les produits de toilette dans des grands coffres en métal mis à la disposition des campeurs. Ne RIEN laisser dans les voitures, les ours ont un bon odorat et n'hésiteront pas à tout casser pour nous voler notre lait condensé sucré. En attendant, les seuls animaux que nous côtoyons sont les oiseaux et de charmants petits écureuils au dos rayé qui courent partout autour de nous.

Avec le soir, arrive la fraîcheur de la montagne. Il nous vient alors une idée complètement extravagante : on va faire un feu. Bon, on n'est pas complètement fou, il y a des emplacements spéciaux prévus pour les feux de camps, on n'est pas en train d'incendier le parc ! On a emprunté des allumettes à nos voisines françaises (dans le parc Yosemite, tout le monde est français, ou parfois canadien) et on a entassé maladroitement le petit bois qui abonde autour de la tente. Avec l'aide d'un peu de papier journal (le magazine du parc, distribué à l'entrée) et d'un démarreur de feu que nous ont passé les françaises, on arrive à faire de très grandes flammes assez impressionnantes. On va chercher encore plus de bois qu'on jette frénétiquement sur le foyer. Miraculeusement, il y a, près de notre tente, une grosse bûche. On la jette comme on peut dans les flammes. Ça marche, on a maintenant un petit brasier modéré et la bûche se consomme lentement. En fait, malgré l'eau que l'on mettra avant de se coucher, la bûche va brûler toute la nuit et il faudra lui verser encore quelques litres d'eau sur la tête pour qu'elle arrête de fumer le lendemain matin. En attendant, on profite de sa douce chaleur. Malheureusement, on n'a rien à faire griller sur les braises. On se contente d'admirer leur rougeoiement dans la nuit tombée sous le ciel étoilé. Plus tard, on quitte la douce chaleur et on va s'enrouler dans les sacs de couchage pour passer la nuit froide. Seule ma toux persistante m’empêche de dormir, les ours nous laissent tranquilles.

Le lendemain matin, on se fera une douche naturelle avec l'eau de la petite rivière et on quittera avec quelques regrets notre petit coin sauvage. La route qui nous reste à parcourir est tout à fait magnifique. Nous montons encore plus haut dans la montagne, dévoilant les magnifiques panoramas de la Sierra Nevada. La forêt se fait moins dense, nous traversons de grandes prairies et longeons les rochers blancs qui dessinent les sommets. D'un seul coup, un immense lac apparaît. Son eau claire scintille de bleu et de vert. Il y a une petite plage au bord de la route et on ne résiste pas. C'est une eau de montagne, elle est fraîche sans être glaciale. Je rentre facilement et nage avec délectation. Plus tard, quand je serai au milieu des déserts arides de l'est californien et du Nevada, je repenserai à ce lac avec envie. Il y a deux jeunes français qui viennent d'Annecy et qui ont beaucoup plus de mal à rentrer dans l'eau, « ba si, elle est un peu froide quand même » (pourtant, franchement, il y en a plein des lacs de montagne près d'Annecy). De toutes façons, le lac devient vite pour eux très anecdotique. Toute leur énergie se concentre sur leur anglais maladroit pour discuter avec deux jolies américaines. Elles leur expliquent qu'elles font du français au lycée mais ne savent dire que « ça va, ça va ». Nous laissons là les tourtereaux et reprenons la route. Bientôt nous quittons le parc. Nous nous arrêtons à la sortie pour manger un « vrai » repas dans le petit resto-hôtel, ça fait trois jours qu'on mange des bretzels et des fruits en boite. La route continue dans la montagne, mais, petit à petit, l'aridité prend le pas sur les forêts de conifères. C'est la transition vers le désert qui nous attend maintenant...