Medellín

Rouge. Rouges les toits de tuiles, rouges les grandes tours de briques, la ville s'étend telle une large flaque rouge au creux des montagnes. Voilà la vision de Medellín que je découvre mon premier matin depuis le toit terrasse de l'hôtel Dorado. Je sors un peu, je découvre à pied les alentours. La ville est encore étrangère, un peu intimidante, j'avance à petits pas dans ce nouveau pays. Je vois des arbres et des parcs, des familles à vélo, des vendeurs de fruits, des cafés et des restaurants.

Au cours de la semaine, je prends les petits taxis jaunes qui forment un flux continu sur l'avenue 70. Tous les jours, je vais à l'université. Le grand campus est à flanc de colline, verdoyant. On travaille assis à l'ombre des arbres, on est jamais complètement à l'intérieur. Il fait rarement trop chaud, "éternel printemps" dû à l'altitude. Le beau campus est fermé par de hautes bordures barbelées, il faut montrer notre badge pour entrer. Je vois des faubourgs moins policés que les abords de l'hôtel : maisons de briques nues, rues cabossées où les enfants jouent au football, masures de tôle le long d'un canal jonché de détritus.

Mais, petit à petit, la ville me devient familière. Je n'ai plus peur de la parcourir à pied, je me fais à ses usages. Si je prends le taxi, c'est par paresse et facilité. Avec le soir, vient toujours la fraîcheur et parfois la pluie ou l'orage. On sort sans crainte sur la Carrera Setenta. Le vendredi, la Colombie gagne le quart de finale de la coupe d'Amérique. La ville est en fête et on va danser la salsa... Et le dimanche, c'est au tour d'une des deux équipes locales de gagner la coupe nationale. Les bars ont eu le temps de changer tous les drapeaux et tous les ballons pour se mettre aux bonnes couleurs. Le match a lieu dans le stade à deux pas de l'hôtel et est diffusé partout... On voit le stade plein de supporters depuis le toit, on entend leur clameur. La victoire est scellée lors d'un deuxième but marqué à 1 minute de la fin. La ville explose littéralement de joie. Il y a des feux d'artifices, les gens dansent dans la rue. On observe tout ça à distance depuis le toit, on entendra les klaxons jusque tard dans la nuit... Et puis, le mercredi suivant, ce sera la défaite face au Chili en demi finale, les cris de douleur et de frustration dans les bars bondés.

Depuis mon arrivée, je mange trop : de la viande surtout  (les végétariens de la conférence ont la vie dure). Je découvre les "chicharrones", sorte de lardons frits, la "carne molida" (viande hachée très sèche), le chorizo, la soupe de "frijoles" (haricots), le "mondongo" (soupe de tripes)  et même des bouts d'intestins frits assez infectes. Heureusement, il y a aussi les jus de fruits : la "lemonada natural", le jus de mangue, de maracuja, de mures, de raisins ou d'autres fruits inconnus que l'on prend "en aqua" ou "en leche". Lors d'un déjeuner, on affrontera à pied le soleil de midi et les autoroutes pour aller au marché aux fruits. On prendra un repas fruitivor sous les arbres du campus. Puis je découvre aussi les "arepa" (pains de maïs), les "empenadas" (brignets frits à la viande) et les "pastels" (friants fourrés à tout ce que l'on veut) et enfin "l'avena" (boisson sucrée laiteuse) et "l'arequipe" (confiture de lait). Heureusement, l'existence de ces deux derniers mets ne m'est révélée que lors de la deuxième semaine. La première semaine, j'ai été farcie jusqu'à l'écoeurement de chicharrones, de frijoles et de carne molida. Ce n'est que lorsque j'ai enfin réussi à éviter la viande frite que mon appétit s'est ouvert aux mets sucrés, me plongeant dans les affres de la tentation.

Premier week-end. Je prend le bus pour rejoindre un groupe d'amis et visiter Guatape : bourgade touristique à 2 h de Medellín. En achetant ses billets à la gare routière, on a le droit à des places assises numérotées. Mais le bus roule portes ouvertes, des passagers montent et descendent se serrant debout dans les allées. Parfois on a même des marchands ambulants de glaces et autres friandises. Nous roulons doucement, cahotant, vrombissement, bercés par la musique latina et protégés par la vierge Marie qui trône au dessus du chauffeur.

Guatape est adorable : véritable petit paradis avec son lac artificiel parsemé de collines verdoyantes. On monte les 600 marches qui mènent en haut du gros rocher, attraction principale du lieu en plus du lac  (mon exploit de la semaine). Puis on organise une balade en bateau  (à 18 dans une petite barque à moteur). On nous montre les anciennes propriétés, incendiées, en ruine, de Pablo Escobar, célèbre chef du Cartel de Medellín dont je découvre tout juste l'existance (je suis arrivée dans ce pays complètement inculte).

La ville se remet tout juste de son passé violent, sous domination des cartels qui faisaient régner la terreur à coup de corruption, d'attentats et d'assassinats. Mais Pablo Escobar reste un personnage ambivalent, né des ghetto de la ville et devenu l'un des hommes les plus riches de la planète, il a été adulé par les habitants de la ville au moins pendant un temps. Lors de la visite guidée à pied du centre ville, la guide ne prononce pas son nom pour ne pas attirer les questions des passants locaux qui ne parlent pas l'anglais : "qu'est-ce que tu leur dis sur Pablo Escobar ?". Lorsqu'il l'evoque, un de os chauffeurs de taxi l'appelle simplement "Pablo"...

Réhabilitation : la ville se réinvente. Le métro (le seul de Colombie) fait la fierté des habitants. Un magnifique téléphérique relie le centre à  un quartier défavorisé où l'on construit une immense bibliothèque. On trouve des lieux de culture et des places claires et arborées en remplacement des anciens terrains vagues et squats. Mais le centre n'a pas perdu son âme. Entre les statues de Botero (autre star de la ville, beaucoup moins controversée) on trouve à acheter toute sorte de babioles : bijoux de pacotilles, souvenirs, fausses montres mais aussi films pornos piratés. Et partout on entend les cris des vendeurs de fruits, jus de fruits, glaces qui nous interpellent régulièrement  : "guarapo one thousand" (jus de citron au sucre de canne, très très bon). Les prostituées ne sont pas bien loin : juste à côté de l'église. Et les drogués ne sont pas très difficiles à trouver non plus. Le centre est grouillant, bruyant, joyeux : je l'aime bien. Le tourisme est un phénomène nouveau, nous sommes des objets de curiosité "hé grigos !". En groupe, ça va. Quand je me promène seule, c'est plus compliqué. Il me faut composer avec les regards appuyés des hommes absolument sidérés de me voir là et j'attire une horde impressionnante de vendeurs qui m'interpellent et me lancent des déclarations d'amour dans un anglais maladroit. Dans la rue de l'hôtel, c'est beaucoup plus raisonnable et, au final, je me sens plutôt bien dans la ville.

Je suis arrivée inculte : je ne connaissais rien de Medellín et très peu de la Colombie que j'associais vaguement à des images négatives : drogue, violence, farcs, conflits... Tout ça a existé et existe toujours mais ce n'est plus l'image que j'en ai. Je vois un pays joyeux et accueillant, je pense aux chicharrones, aux arepas, aux frijoles, à l'avena et à l'arequipe  (oui, je sais, je pense beaucoup à la nourriture). Je pense aux toits rouges de Medellín, au lac de Guatape, au doux climat, aux soirées fraîches, au football et à la salsa... J'ai aimé Medellín et j'y retournerai peut-être. Je retournerai sûrement en Colombie car j'ai maintenant envie d'explorer et de visiter le reste du pays. Ce fut une belle découverte...

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De Portland à Minneapolis

C'est le milieu de l'après-midi à Portland et il fait très chaud. Une chaleur estivale début juin pour une ville qui est pourtant connue pour être plutôt fraîche et humide. Je suis à Union Station et je m'apprête à prendre le train : un long voyage de 36 heures vers Minneapolis. J'ai acheté ce billet un peu sur un coup de tête : je devais vraiment me rendre d'une ville à l'autre, l'avion était cher et j'avais le temps alors pourquoi pas...

Les trains aux États-Unis n'ont pas grand chose à voir avec les trains européens. A part pour de rares courtes distances, ce n'est pas un moyen habituel de se déplacer : les villes sont très éloignées les unes des autres et les trains très lents. On ne prend pas le train parce que c'est pratique  (ça ne l'est pas), on s'engage par choix dans une petite épopée, dans un voyage en tant que tel. Par ailleurs la dimension historique est ici importante : les trains ont conquis cet immense territoire, ils sont la mémoire des pionniers, du far west, chaque ligne a son nom propre.

J'embarque dans "l'empire builder" qui relie Seattle / Portland à l'ouest à Chicago à l'est. Je ne parcours pas l'ensemble de la voie mais presque : 36h de voyage soit 2 nuits et une journée complète.

J'entre dans le wagon qu'on m'a assigné. A l'étage inférieur, on ne trouve que des toilettes et des locaux à bagages. Tous les sièges sont à l'étage. Ils sont très spacieux et confortables. Il y a aussi des wagons couchettes mais qui coûtent beaucoup plus cher.

Le train démarre, le voyage débute. On quitte lentement le paysage rétro industriel de Portland en traversant de multiples ponts et plans d'eau.  Nous suivons le cours de la rivière Columbia qui marque la frontière entre l'Oregon et l'état de Washington. On traverse le paysage verdoyant des rives du fleuve : jolie propriétés, baigneurs et pêcheurs.  Régulièrement, apparaît au sud la pointe enneigée du Mont Hood, majestueuse dans le ciel bleu. Puis le paysage devient plus sauvage, nous longeons le cours d'une vallée escarpée, la vue est parfois bloquée par un rideau végétal très dense. La rivière apparaît entre les arbres, large et scintillante, parfois découpée de petites îles. Le flanc opposé est une falaise abrupte et rocheuse sur laquelle la forêt semble couler tel un torrent.

Le soir approche et je décide d'aller me restaurer. Nous avons un wagon bar qui marque, pour l'instant, l'avant du train. La nourriture est vendue au niveau inférieur mais les passagers s'installent à l'étage qui a été aménagé pour admirer le paysage : un wagon entier formé d'une grande baie vitrée avec des sièges qui font face aux fenêtres. C'est là que je déguste mon "veggie burger" réchauffer au micro onde et que j'essaie en vain de boire un infâme chocolat chaud.

En face de moi : la rivière. Nous avons dépassé un barrage et le paysage est très différent de tout à l'heure. Nous sommes en amont du barrage, la rivière est plus large et plus calme. Autours, plus de falaises sauvages mais une longue plaine rongée par l'eau, couverte d'herbes rases. Tout paraît doré dans le soleil du soir. Des champs d'éoliennes tournent lentement dans le vent. À l'ouest, le Mont Hood disparaît dans les nuages au dessus de la rivière argentée.

C'est ainsi que tombe le premier soir de mon voyage et que je m'apprête à passer la première nuit dans le train, bercée par la vibration des rails et les longs sifflement de la locomotive. Bien sûr, mon siège est loin d'avoir le confort d'un lit. Mais je n'ai pas de voisin et peux donc m'étaler tant bien que mal dans des positions pas trop inconfortables. Je ne dors pas profondément mais je dors quand même. Quand je me réveille pour de bon, le soleil est levé et nous traversons une forêt de conifères.

Mon téléphone marque 6h30 mais il a suivi le changement d'heure dû au déplacement vers l'est. A l'heure de Portland, il n'est en fait que 5h30. Je somnole encore un moment au milieu des pins avant de me décider à aller prendre un petit déjeuner. Pendant la nuit, nous avons perdu notre locomotive et nous sommes raccrochés au train venant de Seattle : plusieurs wagons sont apparus à l'avant du wagon bar, en particulier, le wagon restaurant !  C'est un vrai restaurant avec des tables et des serveurs. C'est là bas que je prends mon petit déjeuner en compagnie d'une américaine retraitée qui va voir sa nièce à  New York (elle prend donc un autre train après celui là).

Nous sommes dans le Montana et plus précisément dans le "Glacier national park". Le paysage est tout simplement époustouflant : torrents sauvages dévalant des montagnes, pics enneigés (les rocheuses), clairières verdoyantes, lacs argentés et forêts profondes. Après mon repas, je vais dans le wagon-baie-vitrée où des guides du parc national sont là pour nous faire une visite guidée !  "Sur la gauche du train vous pouvez voir le mont bidule chouette, à droite dans quelques minutes un joli lac que vous pourrez prendre en photo". La traversée dure encore bien une heure et puis nous quittons les montagnes très soudainement. Nous voilà dans les grandes plaines, plus précisément sur le territoire des indiens Blackfoot. Les guides nous racontent des anecdotes sur la conquête de l'ouest mais avec un discours qui a évolué bien loin des westerns et dans lequel la spoliation des indiens apparaît très clairement. On s'offusque en particulier des blancs qui, depuis notre train, tiraient sur les bisons "pour s'amuser".

Il n'y a plus de bisons sur les grandes plaines mais des larges troupeaux et des champs de céréales . Les rocheuses ne sont plus qu'une ombre dans le ciel avant de disparaître. Toute la journée, nous traversons le Montana. Le paysage est moins spectaculaire, plus monotone mais reste joli. Les grands silos de metal s'élèvent dans la plaine. Parfois on croise une rivière ou un amas rocheux.

Le train s'arrête dans de minuscules gares perdues au milieu de nulle part. Parfois nous sommes autorisés à descendre nous dégourdir les jambes  (et fumer pour ceux que ça intéresse). C'est comme ça que je me retrouve sous le soleil de midi à Shelby : quelques cailloux poussiéreux, des "trucks" garés un peu plus loin, un vieux wagon rouillé...

En début de soirée, nous arrivons dans le North Dakota. La longue plaine est maintenant mouillée d'une multitude de lacs et d'étangs qui brillent dans la lumière du soir. Les silots à grains sont parfois remplacés par des pompes à pétrole. Je suis dans le wagon à paysage, j'attends patiemment l'heure de ma réservation au restaurant en regardant le soleil se coucher : pour le dîner, réservation obligatoire !

Je partage mon dîner avec deux américaines. L'une d'elle habite Fargo où nous arriverons cette nuit. Elle fait une thèse en communication. Originaire de la petite ville de White Salmon dans le Montana, où nous sommes passés ce matin, elle est l'une des rares personnes pour qui le train est véritablement pratique. L'autre femme est une vieille dame afro-americaine toute menue et qui semble perdue dans ses pensées. Ce n'est qu'à la fin du repas qu'elle réalise que je suis française ce qui fait naître en elle un flot d'émotions joyeuses et de souvenirs quelque peu décousus de voyages passés.

La nuit est maintenant tombée, à peine perçoit-on encore la lueur du crépuscule à l'horizon. Deuxième nuit dans le train : j'ai un peu plus d'expérience. Je me suis achetée une couverture à 10 dollars pour me protéger de l'air climatisé. Je dors par bribe de 2 ou 3h. A nouveau, j'ai la chance de n'avoir personne à côté de moi. Je suis encore somnolente lorsque, peu après 7h, j'entends l'annonce pour Minneapolis. Je range les affaires étalées autour de moi dans ce qui a été mon petit espace ces 2 derniers jours et je descends récupérer ma valise. Dehors, la ville apparaît dans la lumière crue du matin : je suis arrivée.

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Lac Mburo

A peine quittons-nous la route principale pour rejoindre le parc national du lac Mburo que nous sommes entourés d'animaux. Nous ne sommes pas encore à proprement parler à l'intérieur du parc. D'ailleurs, il y a encore des éleveurs avec leurs troupeaux de boeufs. Dans tout le pays, ils ont une particularité : leurs immenses cornes qui forment un arc de plus d'un mètre de diamètre au dessus de leur tête. Seb dit que ce sont des zébus, en fait ce sont des Ankole ou Watusi, une race de vache spécifique de l'Afrique de l'est. Mais ici, les vaches se disputent le pâturage avec les animaux sauvages issus du parc. Un des premiers que nous rencontrons est un joli zèbre sur le bord de la route. Nous n'avions pas encore vu de zèbres car ils sont absents du parc Queen Elizabeth mais font la fierté du lac Mburo. Sur la route du camping, avant et après l'entrée du parc, nous en croisons des troupeaux entiers. Ils nous observent étonnés avec leur élégante silhouette si joliment habillée de leur robe rayée puis s'enfuient au galop dans toute leur grâce. Ce sont les plus beaux animaux que nous avons vus jusqu'à présent. Leur couleur noire et blanche est à la fois majestueuse et intrigante, insolite dans l'univers jaune délavé de la savane. Plus tard, une guide nous expliquera que ça leur sert de camouflage mais je ne vois pas du tout en quoi ça les camoufle : au contraire, on les repère à plusieurs kilomètres.

En plus des zèbres, il y a toute une quantité d'antilopes qui bondissent joyeusement autour de nous. Les petits kobs du parc Elizabeth sont remplacés ici par les élégants impalas dotés de rayures noires à l'arrière des pattes (décidément, ce parc est le spécialiste de l'élégance animale). On voit aussi des topis et des waterbucks, on est devenu très fort en antilopes !  Et bien sûr, comme partout, les stupides et amusants phacochères trottent en remuant la queue avec leur air égaré. Le coin camping est un peu moins mignon qu'au parc Elizabeth, rien à voir avec le bucolique camping sauvage de Ishasha. Le sol est dur et poussiéreux. En dehors des buissons épineux, la végétation se résume à des chardons desséchés. On doit planter la tente au milieu des cailloux. Le ciel est nuageux ce qui donne un aspect un peu terne au lieu et même au lac tout proche. Près de l'eau, un petit restaurant décoré de zébrures.

L'après-midi est déjà bien avancé et, comme nous restons deux nuits, nous ne prévoyons rien de spécial pour la fin de la journée. Nous sommes à deux pas de l'embarcadère et un bateau ramène un groupe de touristes, principalement des enfants et adolescents. Nous entendons parler français et nous approchons pour discuter. Le groupe est menée par une femme qui parle en effet français avec un léger accent : elle est rwandaise, vivant à Kampala et le groupe de jeunes est constitué de ses petits enfants qui grandissent en Belgique et en Suède. Elle-même, tutsi, a fui de justesse le génocide en 1994 et vit depuis en Ouganda où elle a monté une agence de tourisme. Elle organise des tours pour les européens à travers le Rwanda et l'Ouganda. Ses petits-enfants sont venus en visite pour l'été et elle profite de son agence pour leur faire visiter le pays. C'est intéressant de parler avec elle des deux pays, de la façon dont ils se relèvent de leur passé douloureux : le génocide au Rwanda, la dictature et la guerre en Ouganda. On pourrait parler plus longtemps mais ses petits-enfants l'attendent déjà dans le 4x4.

Nous pensions être seuls dans le camping ce soir mais alors que nous revenons du centre d'information, nous trouvons un bus qui a déversé une dizaine de tentes ! Le groupe, plutôt jeune, semble être anglophone et très bien organisé : les tentes ont été montées en quelques minutes, tout le matériel de cuisine est déjà sorti et le dîner est en cours de préparation. Après recherche, c'est une agence australienne qui organise des Road Trips à travers l'Afrique (et le monde) à prix raisonnables basés sur le camping. Depuis l'Ouganda, il est possible de descendre vers le sud : traverser le Rwanda, la Tanzanie, la Zambie et le Botswana pour rejoindre l'Afrique du Sud. Deux semaines en Afrique et nous rêvons déjà de grandes aventures… Nous n'aurons pas le temps de discuter avec le groupe : à 6h le lendemain, ils seront déjà sur le départ.

Installés dans le petit restaurant, nous attendons notre dîner (après deux semaines ici, le temps d'attente dans les restaurant reste un mystère non résolu…). Nous retrouvons la famille slovène qui campe un peu plus loin (dans un endroit plus mignon mais sans eau) et passe sa dernière nuit dans le parc. Nous discutons de notre expérience avec les gorilles : eux ont eu le groupe « facile », ils étaient rentrés avant midi et ont pu repartir le jour même pour le lac Bunyonyi. Tout comme nous, ils quittent bientôt le pays. Demain, ils reprendront la route de Kampala et passeront une dernière nuit en Ouganda avant de rentrer en Europe. Ils sont enchantés de leur voyage. On parle de l'Afrique, de la savane, des parcs nationaux, d'animaux sauvages et de longs voyages à travers le monde…

Notre journée dans le parc commence tôt le lendemain matin où nous retrouvons une jeune guide au centre d'information avant le lever du soleil. Nous partons pour une promenade à pied à travers le parc. En effet, ici, il n'y a qu'un seul lion et peu de prédateurs dangereux. Le parc propose donc en exclusivité des « walking safaris ». On roule juste un peu pour trouver notre point de départ puis on marche pendant deux heures dans la savane baignée de soleil levant. C'est très agréable, cela nous permet de mieux observer la nature environnante. Nous croisons plusieurs animaux : zèbres, phacochères, impalas. Pas d'éléphants : le parc est trop petit pour les accueillir. La vie d'impala n'a pas l'air très sympa : les mâles passent leur temps à se battre pour des groupes de femelles risquant à chaque fois de perdre leurs cornes (ce qui signifie un célibat à vie), les femelles n'ont pas leur mot à dire, si elles décident de changer de groupe, le mâle peut les poursuivre et même les tuer ! Vraiment non, impala, très peu pour moi, je préfère devenir un zèbre. Les phacochères ont une survie individuelle assez faible (pour compenser, ils se reproduisent beaucoup) due à leur très courte mémoire. Ainsi, un phacochère peut oublier pendant qu'il coure qu'il est en train de fuir un prédateur, alors il s'arrête et se fait dévorer… De même, une femelle peut oublier où sont ses petits. Donc phacochère : à rayer aussi de la liste des réincarnations possibles.

De retour au camping, nous prenons un petit déjeuner tranquille au restaurant. De petits singes profitent de notre absence pour jouer avec la tente et la voiture. La tente en particulier les amuse beaucoup. Ils se glissent sous la toile extérieure et grimpent un peu partout. On dirait des enfants sur un château gonflable. Ce sont des vervets. Nous n'en avions pas vus beaucoup jusqu'à présent, mais ils sont partout dans ce parc et très peu farouches. Dans le restaurant, ils nous observent avec curiosité, ramassant sous les tables des miettes d'anciens repas et grimpant sur les poutres en poussant des cris aigus.

En début d'après midi, nous partons seuls en voiture à travers le parc. Nous avons appris à notre grand étonnement qu'on pouvait voir des girafes : elles viennent d'être réintroduites. Nous commençons par prendre une mauvaise route et roulons pendant plus d'une heure sur un chemin ennuyeux entouré de très hauts arbustes (et qui n'offre donc aucune visibilité). Plus tard, on retrouve enfin la bonne piste et scrutons la savane du mieux que nous pouvons. Nous voyons zèbres, impalas, topis, waterbucks et même le plus rare bushbuck mais pas de girafes ! La piste grimpe vers un très joli point de vue où le 4x4 a quelques difficultés. Bientôt, il nous faut retourner vers le camping si on ne veut pas louper la balade en bateau : on a vite fait de sous-estimer les distances sur ces pistes qui ne font que tournicoter dans les cailloux.

A 15h45, nous sommes au centre d'information, à 52 de retour au camping pour rejoindre l'embarcadère je dis à Seb : « Quelle belle lumière sur le lac ! » et il me répond « c'est parce qu'il va pleuvoir ». A 53, je sens une première goutte, à 55 je suis à l'abri au restaurant et un déluge s'abat. Seb me suit de peu, j'ai eu tout juste le temps de mettre à l'abri les chaises, lui a vérifié les sardines de la tente et rangé le chargeur de la lampe. Les autres touristes qui attendent comme nous le bateau observent impuissants la furie du ciel. Tout est eau : le ciel, l'air, la terre, tout est devenu liquide. Des torrents déchaînés coulent autour de nous là où il y a quelques minutes, il n'y avait qu'un sol sec et dur. Nous écoutons patiemment le grésillement continue de la pluie sur le lac. Bientôt nous sommes rejoints par un autre groupe de touristes : des suisses allemands qui font le tour du pays en vélo. Vers 17h, l'averse se calme petit à petit puis s'arrête complètement. Le soleil perce d'un seul coup à travers les nuages, éclairant le lac d'une lumière incertaine. Très rapidement, les torrents sèchent et le sol redevient solide, comme si rien ne s'était passé. Notre tente, heureusement, était sur un petit monticule et n'a pas été traversée par l'eau déferlante : tout est au sec. Nous nous approchons de l'embarcadère, les guides sont déjà sur les bateaux à écoper l'eau et nettoyer les sièges. Ce sont de petites embarcations : les suisses allemands montent sur le bateau un peu plus grand et nous prenons une barque à moteur avec 3 autres touristes.

La promenade est moins spectaculaire qu'au parc Elizabeth. Les rives du lac Mburo sont couvertes de végétation et donc moins propice à l'observation. Les seuls mammifères que nous verrons sont les hippopotames mais nous ne nous lassons pas de ces grosses vaches d'eau douce. Dans l'eau, leur corps balourd est caché, ils n'apparaissent que brièvement, sortant leur petite tête grise où remuent leurs ridicules oreilles roses puis ils replongent des que le bateau s'approche. Le plus intéressant est l'observation des oiseaux. Comme le bateau est petit et va très lentement, nous avons tout le temps de les observer et même de les photographier, admirant leur grande variété de couleurs et de formes.  Nous rentrons à l'embarcadère après 1h30 de balade, alors que le soleil se couche.

A peine revenus sur la terre ferme que nous repartons vers le centre d'information. Ce soir nous avons décidé de nous lancer dans un « night drive », notre promenade ultime, dernière chance de voir des animaux. Mon rêve serait de croiser un léopard qu'on ne peut voir que la nuit. Le guide commence par ouvrir le capot de la voiture et branche sur la batterie un gros projecteur. Il s'assoit avec à l'avant, il le fera tournoyer dans la nuit pour repérer les bêtes. Nous commençons par croiser un hippopotame. Hors de l'eau, ils ne sont pas faciles à observer, ils ne sortent que la nuit. En fait, les hippopotames vivent dans l'eau mais, herbivores, ils se nourrissent d'herbe non aquatique. Et comme ils sont gros, ils ont besoin de beaucoup, beaucoup d'herbe. Donc ils sortent le soir et passent leur nuit à brouter. Comme il faut aussi surveiller leur territoire, ils sont obligés d'y aller chacun leur tour, par groupe. Ils peuvent marcher des kilomètres mais doivent marquer précisément leur chemin pour le retrouver au retour : ils ne voudraient pas se tromper et rejoindre un groupe différent ce qui créerait à coup sûr une bagarre. En dehors de l'eau, on prend la mesure de leur taille imposante. Celui que croisons n'a pas l'air d'apprécier l'éclairage du projecteur, il va se cacher dans le buisson.

Après ça, nous roulons plusieurs heures dans la nuit. Nous réveillons de nombreux impalas tranquillement couchés dans l'herbe, et effrayons quelques zèbres qui s'enfuient dans le noir. On repère les animaux de loin car leurs yeux brillent sous la lumière du projecteur. A un moment, nous croisons deux mangoustes tapies sous un talus et des oiseaux nocturnes, mais pas de félins… Lorsqu'on passe à côté d'un autre véhicule, le guide demande toujours au chauffeur s'ils ont vu quelque chose mais non, ils n'ont « rien » vu. Bien sûr, « rien », ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas vu d'animaux : comme nous, ils ont croisé un grand nombre d'antilopes, « rien », ça fait toujours référence aux félins, aux prédateurs, aux hyènes pourquoi pas, qui se dérobent à la vue des touristes curieux. Personne n'a croisé l'unique lion du parc, personne ne s'est trouvé nez à nez avec un léopard. Vers 21h30, nous sommes de retour. Le guide est un peu désolé, mais ce n'est pas sa faute. Tant pis, il faudra revenir en Afrique !

Le lendemain, nous repartons dans la matinée. Nous disons au revoir aux zèbres et aux impalas et ne voyons toujours pas de girafes. La route est monotone mais plutôt rapide jusqu'à Kampala. Nous passons à nouveau l'équateur : retour dans notre hémisphère. Un peu avant la capitale, nous tournons vers Entebe pour passer la nuit sur les rives du lac Victoria. C'est aussi là qu'on trouve l'aéroport mais nous devons de toutes façons repasser par Kampala avant de prendre l'avion : nous avons laissé des affaires à la guesthouse. On était supposé prendre un ferry qu'on manque de peu. Il faut attendre une heure le prochain. Je vois un panneau pour un hôtel, on décide d'aller voir. On se retrouve dans un joli endroit, en bordure du lac avec des chaises et tables en pierre où se reposent quelques personnes. Alors que nous cherchons la réception, une jeune femme nous accueille. Elle nous propose un petit pavillon assez modeste mais joli, avec vue sur le lac. Visiblement, ce n'est pas un établissement pour touristes européens, les gens sont très étonnés que nous soyons ici, que nous connaissions l'endroit. Ca semble être une petite base de loisir pour les locaux qui viennent y passer les week-end en famille. Nous admirons le coucher de soleil sur le lac Victoria qui est très beau malgré ses eaux polluées. Le lendemain, nous prenons notre dernier petit-déjeuner, dehors, entourés par les oiseaux. Puis nous reprenons la route de Kampala. De retour à la guesthouse, nous rangeons  la voiture avant que le chauffeur ne vienne la récupérer. Le moindre centimètre carré est recouvert de poussière. Notre taxi vient nous chercher à minuit : nous quittons l'Ouganda au milieu de la nuit. Je garde de ce voyage un magnifique souvenir, première rencontre inoubliable avec l'Afrique subsaharienne. L'Ouanda est un pays joyeux, vivant, plein d'énergie et d'espoir pour le futur. Ces dernières années, il a su développer un tourisme intelligent qui profite globalement à l'économie du pays et pas seulement à de riches privilégiés. J'espère qu'il continuera, pour cela on ne peut que lui souhaiter la paix et la stabilité politique (le dirigeant actuel saura-t-il passer la main?). En attendant, je pars et je garde des images : les longues pistes de terre, les petites maisons en torchis, les hautes termitières sur le bord des routes et les immenses fours extérieurs en brique, les enfants aux cheveux très courts (filles comme garçons) qui marchent pieds-nus, souriants, en rentrant de l'école, les collines verdoyantes, les forêts denses, la savane infinie...

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