Le vendredi est notre plus grosse journée avec 5 films au programme. On commence à 11h avec le 4ème film de la compétition, Rumours des Canadiens Guy Maddin, Evan Johnson er Galen Johnson. J'avais déjà vu certains des très étranges films de Guy Maddin, en particulier Careful lors d'une rétrospective au festival (et que j'avais beaucoup aimé).
Le pitch de Rumours est assez alléchant vu que ça se passe pendant un sommet du G7 et que les personnages principaux sont donc les dirigeants mondiaux. Le cast donne aussi envie avec en particulier Cate Blanchett en chancelière allemande et Denis Ménochet en président français. Le style caustique me plaît dès le départ et j'apprécie beaucoup le début où l'on suit les 7 dirigeants et dirigeantes (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, France, Allemagne, Italie et Japon) lors d'un dîner dans un cadre paradisiaque au milieu de la forêt. Leur vacuité est déjà étalée, imbus de pouvoir, ils ne disent que des inepties et sont incapables d'écrire le communiqué commun qu'ils vont devoir rendre sous peu.
Puis les voilà abandonnés. Plus personne ne vient, le personnel a disparu et la nuit est tombée. Le film prend alors un tournant étrange et déconcertant. On suit la petite troupe, toujours aussi vaine et creuse, à travers la forêt dans une épopée sans queue ni tête où se mêlent des zombies obscènes, du suédois, un cerveau géant, une intelligence artificielle maléfique, etc. Il y a un parti pris résolument absurde, comme un rêve cauchemardesque. La seule obsession du groupe continue d'être l'écriture du communiqué qui revient comme un leitmotiv jusqu'à la fin où ils finissent par produire un texte complètement aberrant. Le film a des défauts, ne fait pas beaucoup de sens et se perd un peu à son propre jeu. Mais j'ai apprécié l'humour absurde et parfois cruel et le pastiche grinçant.
Après une courte pause déjeuner, nous sommes de retour pour notre marathon de l'après-midi. On commence avec le 5ème film de la compétition Azrael de l'Américain E. L. Katz. C'est un film post apocalyptique au sens premier du terme vu que l'événement cataclysmique décrit au début du film est appelé "The Rapture" (le ravissement en français). Avec quelques cications bibliques, c'est quasiment le seul contexte qui nous est donné, sous forme de texte à l'écran. Et en dehors de ça, on n'a pas trop à se fatiguer à lire les sous-titres car il n'y a aucun dialogue. En effet, la jeune femme que l'on suit appartient à une sorte de communauté sectaire qui a fait vœu de silence. Le film réussit cependant l'exploit de nous raconter toute son histoire ainsi de façon silencieuse. La jeune femme est avec son compagnon, ils fuient quelque chose. Puis les voilà faits prisonniers et visiblement elle doit être sacrifiée à des démons zombies qui n'ont pas l'air très sympa. Mais elle s'enfuit et commence alors son épopée où elle cherche à retrouver son compagnon, s'enfuir, se venger et échapper à la fois à la secte et aux zombies qui traînent pas mal dans les bois. La tension est bien menée, la personnage centrale attachante et combative, et le récit biblique sous jacent est intriguant sans être trop présent ni explicatif. Une belle découverte.
Le film suivant est présenté hors compétition dans le cadre d'un focus sur le cinéma de genre vietnamien qui semble être en train d'émerger. Le film s'appelle Crimson Snout (truffe rouge) du réalisateur Lưu Thành Luân qui monte sur scène dans un magnifique habit traditionnel bleu pour nous en parler. Le thème du film est la consommation de viande de chien (et les chiens qui se vengent en maudissant et hantant leurs bourreaux). Le film n'a évidemment pas le budget d'une grosse production américaine ce qui se ressent mais s'en sort tout de même très bien. L'histoire n'est pas très originale mais plutôt bien racontée. Un fils rentre dans son village avec sa nouvelle fiancée après la mort tragique de son père. J'ai suivi avec plaisir ces histoires de familles vietnamiennes déchirées entre la tradition et les aspirations plus modernes du fils. La malédiction du chien s'infiltre et amplifie la discorde venant massacrer les membres de la famille un par un. J'apprécie de venir au festival pour découvrir ce genre de film assez improbable qu'on ne voit nulle part ailleurs. C'est un beau succès au Vietnam et c'est mérité.
Le film suivant est peut-être mon favori pour la compétition. The Wailing de l'espagnol Pedro Martín-Calero se passe entre l'Espagne et l'Argentine. On suit d'abord une jeune étudiante espagnole qui découvre dans ses photos une présence inquiétante. Cet homme est là toujours, autour d'elle comme une ombre. Mais personne ne peut le voir sauf s'il est filmé. Alors qu'elle pense devenir folle, on découvre que cette présence a aussi hanté sa mère biologique ce qui nous amène en Argentine. Le film dresse de beaux portraits de femmes. Il est aussi très sombre car c'est une malédiction implacable et violente qui se transmet de génération en génération. Les femmes meurent sans être crues et sont prises pour des folles. Évidemment, l'analogie avec la violence patriarcale est claire mais je trouve le film plus profond que cette simple métaphore. J'aime la façon inquiétante avec laquelle la malédiction s'insinue dans la vie de ses victimes, cette peur indicible qu'une chose atroce est peut-être juste à côté de vous sans que vous puissiez la voir, la violence avec laquelle elle agit soudain, et ces images et sons qui reviennent comme le vieil immeuble et les pleurs de femmes. La fin peut être frustrante mais pour moi qui apprécie justement les films qui n'expliquent pas trop et ne résolvent pas tout, ça me va très bien.
Enfin, nous arrivons au 5ème et dernier film de la journée. Nous allons voir la Nuit Xxx en hommage au réalisateur Ti West. De lui, nous avons vu The Sacrement il y a quelques années à Gerardmer et surtout Pearl par hasard il y a quelques mois. Ce dernier raconte l'histoire d'une jeune femme dans les années 1920 aux États-Unis qui, lassée de sa vie trop monotone, finit par massacrer tout le monde. Le film fait en fait partie d'une trilogie dont il est le second opus. C'est cette trilogie qui est diffusée ce soir. Mais il est 22h et nous ne restons que pour le premier film qui s'appelle simplement X. Le deuxième est Pearl que nous avons donc déjà vu. Et il nous restera donc Maxxxine à voir une prochaine fois à une heure plus raisonnable. Les 3 films racontent des histoires indépendantes mais liées par les personages et surtout l'excellente actrice Mia Goth.
Dans X, on suit une équipe de tournage dans les années 80 qui se prépare à créer un film porno dans une ferme isolée du Texas louée à un vieux couple qui ne connaît pas leur projet. On est donc 60 ans après Pearl mais on reconnaît facilement la ferme et on comprend que l'inquietante vieille dame est en fait Pearl elle-même. D'ailleurs c'est Mia Goth qui joue à la fois la vieille femme et la jeune actrice porno Maxine qui arrive dans la ferme. Voir chez elle cette étrange équipe de cinéma réveille certains instincts de la vieille dame : ses rêves de gloire, sa libido et ses penchants meurtriers. On assiste alors à un joyeux massacre assez cruel et sanglant. C'est très bien fait. Il y a de l'humour noir et une belle énergie. Le discours sur la pornographie et la sexualité féminine est plutôt bien fichu et on aime retrouver le personnage de Pearl dont Maxine est une sorte de double. Une bonne façon de terminer notre journée, il est plus de minuit et on va se coucher.