Gerardmer 2019 - Vendredi

Deuxième jour, la neige est mouillée par la pluie. Nous sommes au Cinéma du Casino pour voir le film Zoo hors compétition. Imaginez : votre couple bat de l'aile, au point que vous avez du mal à rester ensemble dans une même pièce, sans parler d'échanger plus de quelques mots. En fait, ça va tellement mal que vous commencez à songer sérieusement au divorce. Mais voilà que la fin du monde arrive sous la forme d'une apocalypse zombie et que vous êtes obligés de rester confiner dans votre appartement à vous regarder dans le blanc des yeux. Par ailleurs, la perspective de la destruction de l'humanité vous pousse à relativiser un peu et vous commencez à retrouver une certaine complicité avec votre ancienne âme sœur, même si ça passe par des piques de cruauté partagée, contre vos anciens voisins par exemple. Le film de zombies intimiste avait déjà été traité dans *La Nuit a dévoré le monde * par exemple. Il est très bien fait ici, mélange de vie quotidienne sur fond de fin du monde où le couple se reconstruit tandis que l'humanité disparaît. L'humour grinçant se mêle parfois à l'émotion (voire la sentimentalité) et ça donne quelque chose de plutôt sympa.

Après le déjeuner, nous voilà au Paradiso où nous découvrons Await further instructions. Le film commence très bien. On est dans une banlieue londonienne. Un fils retrouve sa famille pour Noël avec laquelle il a visiblement pris ses distances. Il leur présente sa petite amie d'origine indienne. Le grand-père est ouvertement raciste, les autres, à peine moins. Le père est un personnage autoritaire et intransigeant. Le malaise s'installe. Dès le lendemain, les tourtereaux souhaitent s'enfuir à l'aube. Mais voilà toute la maison bouclée sous une coque métallique. Sur la télévision, un message énigmatique s'affiche "Stay indoors and await further instructions". Très vite, les messages deviennent plus inquiétants, les incitant à jeter toute la nourriture où à se frotter avec de la javel. Le père, chantre de l'autorité veut tout suivre à la lettre sans en questionner la source. Très vite, la tension monte dans la famille déjà dysfonctionnelle. Jusque là, en tant que spectatrice, je suis complètement prise dans l'histoire. Mais ensuite, les choix scénaristiques me perdent peu à peu jusqu'à la fin grand guignol qui me laisse complètement à côté. Dommage.

Nous enchaînons avec un autre film en compétition Escape Game, production américaine grand public dont j'ai déjà entendu parler. Le film se voudrait un nouveau Cube mais n'en n'a pas l'audace. Si certaines scènes sont bien conçues, les personnages restent jusqu'au bout caricaturaux et prévisibles. Au final bien peu de surprises par ici.

Après une courte pause, nous sommes de retour à l'espace Lac pour l'hommage à Eli Roth suivi du film en compétition The Unthinkable. Jusqu'à présent, c'est peut-être la surprise la plus intéressante du festival même s'il n'a pas suscité chez moi un enthousiasme démesuré. Il est produit et réalisé par un collectif suédois, Crazy Pictures, qui signe collectivement le film et s'occupe de l'ensemble de la création de la production au montage avec un budget très modeste (ce qui ne se ressent pas du tout). Cela donne une œuvre originale et poétique qui s'éloigne des sentiers battus. Le film commence comme un drame social sur un jeune adolescent en opposition frontale avec son père autoritaire et colérique. Puis, des années plus tard, la Suède se retrouve attaquée et plongée dans le chaos. Le jeune homme est de retour dans son village, face à son père et à son passé. Alors au milieu des hélicoptères qui explosent et des pluies toxiques, ressortent les regrets et les non-dits. Il y a certes des défauts, quelques longueurs sur la fin mais ça reste un beau film. On lui souhaite du succès et une belle carrière pour le jeune collectif suédois.

La journée n'est pas encore terminée. On reste pour le début de la nuit Ozploitation sur le cinéma australien. Le présentateur nous explique d'abord la renaissance des productions australiennes dans les années 60 qui avaient complètement disparu, avalées par le cinéma américain. À cette époque, le gouvernement décide de financer un peu tout et n'importe quoi pour relancer son industrie et sa culture. Naissent alors tout un tas de films de seconde zone, parfois complètement décalés. C'est dans la suite de cette mouvance qu'on trouve le premier film de la soirée, Night of Fear, qui devait être le premier épisode d'une série. Quand il fut terminé, les producteurs horrifiés décidèrent qu'il n'y aurait non seulement pas de série mais qu'il ne passerait jamais à la télévision. D'ailleurs il fut pendant un temps carrément interdit. Le film est basé sur un concept simple : un tueur psychopathe poursuit une jeune femme pour la massacrer. Il n'y a pas d'explications, d'ailleurs il n'y a pas de paroles, seulement une musique angoissante et psychédélique tandis que la victime s'enfuit à travers les bois. Les images dérangeantes et étranges inspirèrent plus tard des films tels que Massacre à la Tronçonneuse et sont précurseurs du gore (bien qu'il y ait très peu de sang). Aujourd'hui, le film a pas mal vieilli et tourne assez vite au ridicule mais reste un objet cinématographique insolite.

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Gerardmer 2019 - Jeudi

Le festival commence pour nous jeudi matin dans la petite ville couverte de neige. Après avoir récupérer nos pass à l'espace tilleul, aspergés de la musique mièvre qui se déverse tout le long du festival dans le centre-ville, nous prenons le chemin de l'espace Lac pour notre premier film Rampant de Kim Sung-Hoon. C'est un film de zombies coréen se déroulant à l'époque médiévale. Il souffre de quelques longueurs et de quelques lieux communs mais tient tout de même la route. Il est agréable de voir que ce type de grosse production un peu patapouf n'est pas réservée aux Américains.

Nous traversons ensuite la ville et rejoignons la MCL. Après un déjeuner de pâtés lorrains avalés en vitesse, nous découvrons Cabin Fever, premier film de Eli Roth qui réalisa par la suite la saga des Hostels. L'histoire classique d'une bande de jeunes en vacances dans les bois à qui il arrive des malheurs est plutôt bien menée. Comme dans Hostel, il y a toujours une certaine distance cynique, parfois même de l'humour. On retrouve aussi les éléments gores présents ici sous la forme d'une maladie assez dégoûtante qui ronge la chair de ces beaux jeunes gens. Les images jouent entre l'explicite et le suggéré et nous feraient bien sortir de la salle avec des démangeaisons.

Après cette jolie petite découverte et un goûter au Neptune, nous voilà de retour à l'espace Lac pour les deux films en compétition de la soirée. On commence par Aniara, film suédois entre science-fiction et fantastique. La Terre étant devenue inhospitalière, les humains la quittent pour rejoindre Mars. Un de ces voyages a lieu dans le grand vaisseau Aniara qui ressemble à un centre commercial ou un paquebot de croisière. Mais voilà le vaisseau dévié de sa trajectoire, en perdition dans l'immensité de l'univers. Les trois semaines initialement prévues se transforment en plusieurs années. Si les besoins vitaux des passagers ne semblent pas poser de problèmes imminents (on a fait beaucoup de progrès en autosuffisance dans l'espace), très vite c'est la morosité et même la dépression généralisée. Le film devient donc une belle fable mélancolique et poétique sur la vacuité de l'existence, l'espoir et le vide. Un peu en décalage par rapport au reste de la sélection, il arrive à imposer son rythme et son ambiance.

Nous finissons notre première journée avec The Dark, premier film d'un réalisateur américain. Une jeune fille mort-vivante hante des bois et massacre les visiteurs imprudents pour venger le meurtre dont elle a été elle-même victime. Elle rencontre un jeune garçon aveugle et, lui aussi, victime de sévices (mais toujours vivant, lui). Entre eux se lie une amitié étrange face au monde hostile. Le film a quelques lourdeurs mais reste intéressant, un bon premier pas.

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Percé et île de Bonaventure

Après le magnifique beau temps, nous nous réveillons sous les nuages. La pluie arrive avant le petit-déjeuner que nous prenons à l'abri des arbres. Elle tombe toujours quand nous replions la tente et rangeons nos affaires en essayant de ne pas tout tremper. Et il pleut encore lorsque plus tard, nous arrivons à Percé. C'est une pluie froide et épaisse, de celle qui trempe jusqu'aux os. Elle enveloppe la ville d'un manteau brumeux. Le rocher qui donne son nom à la ville est visible mais pas l'île Bonaventure pourtant très proche. On commence par se réchauffer dans une agréable boulangerie mais voyant que la pluie ne s'arrête pas, il nous faut décider quoi faire. La météo indique qu'il pleuvra toute la journée mais que le temps devrait s'améliorer demain. Alors nous décidons de rester.

On commence à se renseigner sur l'île de Bonaventure et les bateaux qui s'y rendent. On nous apprend (sans surprise) qu'il n'y aura plus de départ aujourd'hui. De toutes façons, on n'avait pas vraiment l'intention de prendre le bateau sous ce temps là. Habituellement, il y a des départs toutes les heures sans réservation. On prévoit de faire la promenade demain matin. En attendant, il faut se trouver un logement. Nous parcourons les rues sous la pluie battante cherchant un motel avec encore de la place (on n'a pas très envie de dormir sous la tente ce soir). Nos premiers essais sont infructueux et on décide de chercher depuis la voiture pour arrêter de se faire tremper. On appelle quelques établissements pleins avant de tomber sur le * Fleur de Lys* à qui il reste une chambre. On a bien fait de s'y prendre dès le tout début d'après-midi.

Je voudrais bien rejoindre la chambre tout de suite mais elle ne sera prête qu'à 15h, c'est-à-dire dans 2h. Il faut trouver à s'occuper dans la toute petite ville de Percé un jour de pluie… Mon imperméable ne fait déjà plus très bien son travail et je sens l'eau et le froid se glisser partout (c'est à cette occasion qu'on découvre les sièges chauffants dans la voiture ! ). On décide d'aller écouter un petit concert gratuit de musique locale dont on a trouvé un prospectus. Dans une salle municipale, une chanteuse reprend les classiques québécois de La Bolduc, chanteuse compositrice populaire du milieu du vingtième siècle. Je n'avais jamais entendu parlé d'elle et je ne connais aucune de ses chansons. Le style est à la fois traditionnel et irrévérencieux sur une musique qui pourrait rappeler certaines chansons de Bassens. Et puis on découvre la "parlure" québécoise. Enfin, l'ambiance dans la salle est familiale et chaleureuse. C'est un mélange de locaux et de touristes cherchant comme nous à échapper à la pluie. Les québécois, largement majoritaires, reprennent un peu les refrains et marquent le rythme avec des instruments en bois. Quand le concert se termine, on fait un petit tour au musée de la ville où on nous parle d'histoire de la pêche à la morue et de biodiversité. Je me demande si mon ancêtre granvillais, capitaine au long cours, est venu à l'époque jusqu'à Percé. Qui sait, il a peut-être eu des descendants de ce côté là de l'Atlantique… Mais enfin, il est 15h et on peut aller se calfeutrer dans la chambre d'hôtel et regarder la pluie tomber oar la fenêtre.

Le lendemain, c'est comme si ce jour de pluie n'avait jamais existé. On revient au soleil radieux de l'avant veille comme si de rien n'était. L'île Bonaventure est maintenant parfaitement visible, si proche qu'on se demande comment elle a pu disparaître dans le brouillard. Le Rocher-Percé se dresse, majestueux, sur la mer, nous offrant ses immenses falaises de roches. La ville entière est complètement différente et reprend son aspect de petite cité balnéaire. On découvre la plage et les terrasses de restaurants qui s'étalent un peu partout. La rue principale (ou plutôt l'unique rue) est animée par le joyeux flot de touristes. Nous rejoignons le quai d'embarquement et la longue file qui attend les bateaux. Il y a du monde ce matin, nous ne sommes certainement pas les seuls à avoir dû repousser d'un jour notre planning. Nous avons de la chance et embarquons rapidement. La balade commence par un tour du rocher dont on peut voir de plus près les hautes falaises puis nous faisons le tour de l'île. Alors que nous avançons, le ciel s'emplit du vol tumultueux des oiseaux marins. La majorité sont des fous de Bassan dont on voit les nids sur les rochers. Ils ont un long corps blanc avec un cou jaune et de petites pointes noires sur les ailes. Ils planent élégamment au dessus des flots. Mais ils ne sont pas les seuls dans le ciel, on remarque parfois le vol plus haché d'un petit oiseau noir : un pingouin ! Le bateau accoste finalement au niveau d'une petite plage et nous commençons notre exploration de l'île.

Autrefois habitée, c'est maintenant un parc national protégé. On y trouve plusieurs chemins de randonnées. Nous commençons par monter à travers la forêt pour rejoindre la crête des falaises. De là, on découvre une magnifique vue maritime au milieu d'une végétation fleurie. Puis nous arrivons au clou du spectacle : la colonie des fous de Bassan. Deuxième plus importante mondiale, on trouve ici 120 000 oiseaux qui reviennent chaque été installer leurs nids et élever leurs petits avant de repartir vers des contrées plus chaudes l'hiver. Depuis le bateau, on ne voyait que la petite minorité qui vit sur le versant de la falaise. La plupart sont installés au sommet, les uns à côté des autres dans ce qui ressemble à une organisation urbaine. Chaque couple a son nid attitré et passe son temps à se disputer avec ses voisins. Les groupes sont si nombreux qu'il est difficile d'en percevoir l'étendue. Ils piallent bruyamment et dégagent collectivement une odeur assez fétide de métropole ornithologique. Les oisillons sont déjà assez grand. Ils font presque la taille de leurs parents mais portent encore leur duvet gris de bébé. On dirait de gros adolescents un peu maladroits. Amorphes, ils dorment ou ouvrent le bec un peu piteusement, attendant qu'on leur mette le poisson dans la bouche. Certains commencent à entraîner leurs ailes un peu gauchement.

Nous pique-niquons, pas trop près des oiseaux pour ne pas être incommodés par l'odeur et les mouches puis repartons pour la deuxième partie de la balade. Cette fois, nous longeons presque continuellement la côte. Ce sont paysages ensoleillés, vues sur le Rocher-Percé, magnifiques étendues fleuries roses et jaunes. Il reste quelques maisons, certaines en ruines, d'autres rénovées, qui nous laissent imaginer ce que fut la vie des quelques habitants, pêcheurs et marchands, qui vécurent ici.

À 15h, nous reprenons le bateau vers Percé avant de continuer notre route, roulant maintenant vers la côte sud de la Gaspésie : la baie des chaleurs. Il y a plus d'habitations de ce côté-ci de la péninsule. C'est un lieu de vacances, de petites villes au bord de la mer. Nous nous arrêtons dans un camping au milieu de nulle part avec une petite plage. Nous allons nous baigner le lendemain matin mais bien que l'eau soit plus chaude qu'au nord, elle reste très fraîche.

Nous continuons la route jusqu'à Carleton. Après les randonnées et le camping, il me vient des envies de paresse. Je m'arrêterais bien sur une chaise longue au bord de la petite baie à lire mon livre et regarder passer les voiliers. Cependant, le camping est plein et il semble difficile de trouver à se loger par ici en cette fin de semaine du mois d'août. Les familles réservent longtemps à l'avance et viennent installer leurs camping-cars dans ce sui semble être le lieu de villégiature du Québec. Alors, nous roulons un peu plus loin. Nous atteignons la pointe ouest de la baie et passons de l'autre côté, en Acadie, au nord du Nouveau-Brunswick, juste en face de là où nous étions plus tôt. Ici, nous plantons notre tente et laissons filer le temps au bord de la piscine.

Avec le dimanche, arrive la fin du séjour. De l'Acadie, nous ne verrons que cette plage à marée basse sur laquelle nous nous promenons les pieds dans l'eau. Le reste sera pour un prochain voyage. Nous prenons la route de Québec et de Montréal. Notre dernière nuit sous la tente se fera au bord du Grand Lac Touladi, dans le Parc National du Lac Temiscouata. C'est là qu'après avoir brûlé toutes nos bûches dans un beau feu de camps, nous pourrons observer le ciel nocturne traversé d'étoiles filantes. Puis viendront les longues heures de route, les heureuses retrouvailles avec Montréal et enfin, le vol vers Paris…

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